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Europe : l’aide humanitaire en question

Publié le lundi 12 juillet 2021

Article extrait de Défis humanitaires

 

La DG ECHO, réflexions et souhaits d’un humanitaire

Quand on m’a gentiment proposé de profiter de l’espace très intéressant qu’offre le site Défis Humanitaires pour parler de la DG ECHO, j’ai très peu hésité car c’est un « objet humanitaire » qui concerne mon poste actuel au sein de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL et qui me tient à cœur.

Cet article n’est pas un article de recherche académique mais une simple transcription des expériences et perceptions d’un praticien de l’action humanitaire envers un des acteurs majeurs qu’il a côtoyé au cours des deux dernières décennies. Il faut y lire beaucoup de subjectivité et de vécu, beaucoup de compliments et de reproches mais aussi beaucoup d’attentes et d’espoir.

Un bailleur « à notre image »

Mon premier contact avec la DG ECHO s’est fait en 2004, à Goma, en République Démocratique du Congo (RDC). J’ai vite été séduit par une image d’un bailleur de fonds présent sur le terrain, au courant des besoins, inscrit dans une démarche de principe et qui se positionne comme co-constructeur de la réponse que SOLIDARITÉS INTERNATIONAL voulait à l’époque mettre en œuvre à l’Est de la RDC (Ituri, Kalémie, Goma…)

Tout au long de ma vie d’humanitaire j’ai eu à interagir avec les membres de la DG ECHO, que ce soit au niveau du terrain ou au siège sur les principales crises humanitaires des deux dernières décennies (le Darfour, l’Afghanistan, la crise malienne, la crise syrienne, Haïti, le Nigéria…). Pour quelqu’un qui travaille dans une organisation humanitaire qui se veut indépendante sans pour autant pouvoir fonctionner sans les financements institutionnels, la DG ECHO a toujours été un bailleur privilégié.

D’abord, le positionnement de l’Union européenne comme un « soft power » au niveau des relations internationales est un élément rassurant quant à la perception positive (ou a minima « pas négative ») que peuvent avoir les différentes parties prenantes des financements européens de projets humanitaires. Ainsi, l’absence d’orientation politique directe de la majorité des financements de la DG ECHO permet à ses partenaires ONG de garder un niveau très important d’indépendance et de neutralité. Bien sûr, ceci est une tendance générale même si certains positionnements et certains financements, notamment sur les problématiques de flux migratoires vers l’Europe, restent éminemment politisés.

Ensuite, il faut noter que la majorité des employés de la DG ECHO avec qui j’ai interagi sur le terrain étaient des anciens employés d’ONG humanitaires. Nous parlions le même langage, avions les mêmes considérations et étions aussi attachés à des notions, malheureusement aujourd’hui parfois délaissées, de positionnement de principe. La DG ECHO est l’un des bailleurs les plus vocaux sur les questions de respect du Droit international humanitaire et est l’un des bailleurs les plus sensibles aux problématiques de respect des principes humanitaires de neutralité, d’indépendance et d’impartialité. Au-delà d’une posture discursive, cette identité forte se perçoit dans chaque pays d’intervention de la DG ECHO et se transcrit en permanence dans les échanges de ses employés avec les autres acteurs humanitaires, dans le choix des zones où intervenir, des priorités à définir, des projets à financer…

Aussi, la DG ECHO est l’un des bailleurs les plus proches du terrain. C’est sans doute une volonté institutionnelle mais, de mon expérience, ce fut souvent une réalité tangible. Quand de nombreux représentants de bailleurs ont une capacité limitée de déplacement et de visite des terrains directs de l’action humanitaire, la DG ECHO brille par sa capacité à déployer des employés nationaux ou internationaux au cœur des endroits où les projets qu’elle finance sont mis en œuvre. Non seulement c’est une approche qui améliore nettement sa capacité de suivi effectif des réalisations des projets qu’elle finance mais la DG ECHO signifie par cette démarche qu’elle n’est pas dans une logique de transfert de risque vers ses partenaires. C’est une posture d’une valeur très importante dans un environnement humanitaire régi de plus en plus par une logique de transfert de risques des bailleurs, vers les acteurs internationaux et ensuite vers les acteurs nationaux ou locaux.

Enfin, la DG ECHO attache une attention particulière, dans ses différentes programmations, à l’atteinte de populations vulnérables dont l’accès à l’aide humanitaire est restreint ou inexistant. Cette volonté affichée rejoint souvent un leitmotiv stratégique central chez SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. En effet, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a fait de l’accès aux populations affectées un enjeu majeur de son action humanitaire et fait le choix d’investir des efforts particuliers dans ce sens. Des efforts qui se voient en permanence dans ses zones d’interventions et sa propension perpétuelle à « aller où les autres ne vont pas ».

Qui aime bien châtie bien, dit-on. J’ai aussi voulu transcrire, dans cet article, des éléments qui me questionnent dans le fonctionnement actuel et projeté de la DG ECHO. Je vais parler de tendances que je trouve dommageables, d’orientations que j’estime non pertinentes, de décisions que je perçois questionnables. Mon avis n’engage que moi, mais j’espère que certaines de mes interrogations seront écoutées et certains de mes souhaits entendus… Certains thèmes traités ci-dessous font partie du plaidoyer continu que SOLIDARITÉS INTERNATIONAL fait auprès de la DG ECHO que ce soit directement ou à travers notre participation à la plateforme essentielle qu’est VOICE, une voix porteuse des ONG humanitaires européennes.

Des financements qui restent en deçà des besoins

L’augmentation du volume financier d’aide humanitaire attribué par la DG ECHO est une tendance qu’on a observé lors des 10 dernières années et qui se poursuit. Malheureusement, et le constat est partagé par la DG ECHO elle-même, l’amplification des besoins humanitaires reste plus rapide que cette tendance d’augmentation et les fameux « gaps de réponse » restent importants et ont même tendance à croître. Aujourd’hui, les perspectives d’évolution des financements humanitaires européens d’ici 2027 ne semblent pas prendre réellement en compte les tendances inquiétantes d’augmentation de l’ampleur des crises et leurs prolongations dans le temps. Il est névralgique qu’un acteur aussi important que la DG ECHO dans la sphère humanitaire puisse développer sa capacité d’action et de financement en lien avec la recrudescence continue des besoins humanitaires à travers le monde. Il est crucial d’accompagner la DG ECHO dans ses efforts d’augmentation de ses capacités à travers un travail de plaidoyer permanent auprès des décideurs européens, qu’ils soient au niveau étatique ou des instances européennes.

Quid de la part des ONG dans les financements de la DG ECHO ?

En parallèle de l’augmentation des budgets de la DG ECHO, j’ai observé ces dernières années une augmentation de la part de ce budget allant aux organisations internationales (hors ONG) et notamment aux organisations du système onusien. D’ailleurs, entre 2016 et 2019, la part du financement de la DG ECHO allant aux ONG s’est réduit malgré l’augmentation générale des budgets de la DG ECHO : elle est passée de plus de 800 million d’euros à moins de 700 million d’euros. Malgré le fait que le système onusien est nécessaire à la réponse humanitaire dans son ensemble, il n’en reste pas moins essentiel de maintenir, sinon développer, la part des ONG dans la réponse. La pluralité, l’indépendance, la flexibilité, la créativité… des ONG en fait un canal privilégié qui ne doit pas être délaissé par la DG ECHO.

On imagine bien que l’une des raisons derrière cette tendance est la capacité des organisations onusiennes à gérer des volumes financiers très conséquents, facilitant ainsi le traitement administratif effectué au niveau de la DG ECHO. Ceci étant dit, il ne faut pas oublier que beaucoup de ces fonds terminent aux mains des ONG, indirectement, ce qui revient à ponctionner des frais administratifs importants des budgets humanitaires en déplaçant le coût administratif de la DG ECHO vers les agences onusiennes. Cette approche « middle man » contribue fortement à réduire la réelle efficience de l’aide, mais elle est peu visible au niveau de la DG ECHO qui se rend ainsi en capacité de gérer des budgets plus importants, sans pour autant augmenter sa masse salariale ou ses coûts administratifs.

Il est souhaitable que la DG ECHO appuie le rôle de coordination, de production de valeur technique et méthodologique, de lien avec les Etats, de mise en œuvre direct du système onusien, et non pas le rôle de bailleur intermédiaire qui, in fine, ne contribue qu’à réduire artificiellement la perception du coût administratif alors que, dans la réalité, ce coût augmente.

Pour la recherche d’une efficience cohérente et réelle

L’efficience est une vertu dans la mise en œuvre de toute réponse humanitaire. Attention cependant à prendre en considération les standards minimaux d’une réponse de qualité en analysant le budget d’un projet donné. Dans le cadre du nouveau système en cours depuis le début de l’année 2021, les coûts de Suivi, évaluation, redevabilité et apprentissage (SERA ou MEAL en anglais) sont considérés par la DG ECHO comme des coûts supports sur lesquels s’appliquent un objectif non-dit de baisse au « strict minimum ». Cet exemple est un élément inquiétant qui montre une certaine incohérence intrinsèque lorsque la DG ECHO, à juste titre, augmente ses attentes en matière de qualité de mise en œuvre mais n’est pas prête à assumer financièrement ces exigences.

On voit d’ailleurs de plus en plus d’organisations qui financent leurs coûts dits « support » sur leurs fonds propres ou sur des fonds de bailleurs « moins regardants » pour présenter à la DG ECHO des budgets artificiellement très « efficients ». Cette pratique de « coûts masqués », parfois malheureusement valorisée par les représentants de la DG ECHO, travesti à mon sens la notion d’efficience et l’instrumentalise. Je n’ai malheureusement pas de solution toute prête face à ce problème mais j’appelle néanmoins à une lecture plus englobante de la notion d’efficience et une approche plus humble de la notion de coût par bénéficiaire, qui reste difficile à rendre pertinent comme indicateur rapporté à un projet donné et doit s’analyser d’une manière beaucoup plus globale.

Le « crisis modifier », une excellente modalité qui ne doit pas remplacer un engagement fort de la DG ECHO dans le financement des mécanismes « RRM »

De plus en plus de HIP ECHO (Plan d’intervention humanitaire ou programmation) contiennent une mention de la modalité « crisis modifier ». Cette modalité permet aux partenaires de la DG ECHO d’inclure dans leurs propositions d’activités des montants estimatifs qui peuvent être débloqués sous certaines conditions pour répondre à des besoins humanitaires à déclenchement rapide. Ceci permet aux acteurs humanitaires de pouvoir mettre en œuvre une réponse rapide et adaptée qui sort du cadre « normal » du projet initialement soumis et mis en œuvre. L’existence du « crisis modifier » apporte une flexibilité souvent requise dans le cadre de crises humanitaires où des changements contextuels rapides peuvent souvent arriver et changer la dynamique des besoins (conflit, déplacement de population, inondations, sécheresses…).

Nonobstant la vertu réelle et la nécessité d’une telle modalité, elle ne doit pas selon moi être perçue comme un remplacement des mécanismes RRM (Mécanismes de réponse rapide). Le RRM est un mécanisme qui a vu le jour en 2004 suite à une collaboration entre SOLIDARITÉS INTERNATIONAL et l’UNICEF dans l’est de la République démocratique du Congo. Le RRM est une approche multisectorielle intégrée et multi-acteurs, adaptée à la large majorité des crises humanitaires et qui inclut une méthodologie commune de pré-positionnement, d’analyse des besoins, et un système coordonné d’activités, de référencement et de suivi d’évaluation de la réponse. Depuis sa naissance en 2004, le RRM s’est étendu à la quasi-totalité des crises humanitaires (le Soudan du Sud, le Darfour, l’Afghanistan, le Yémen, la RCA, le Nigéria, le Mali…) et SOLIDARITÉS INTERNATIONAL s’efforce comme d’autres ONG de déployer ce mécanisme dans chaque contexte qui s’y prête.