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Le Nord-Kivu en état de catastrophe

Publié le lundi 22 avril 2024

Deux années de crise du M23 

La République démocratique du Congo (RDC) a subi de nombreux conflits et fait encore face à une centaine de groupes armés. Le pays est au 179e rang de l’Indice de développement humain, et connait également des problèmes graves dus aux épidémies. Dans ce contexte déjà très difficile, l’offensive du M23 au Nord-Kivu en mars 2022 a ajouté une crise grave qui a jeté 900 000 personnes supplémentaires sur les routes. Le décalage entre les besoins exprimés et la réalité du financement de cette crise est énorme. 2,6 millions de Congolais sont pourtant dans le besoin d’une aide humanitaire rien que dans le Nord-Kivu¹.    

La RDC subit des conflits dans de nombreuses provinces, ainsi que d’innombrables violations des droits humains. « Les conflits armés et intercommunautaires en RDC s’articulent principalement autour des compétitions pour le contrôle de la terre et des ressources naturelles, des mobilisations identitaires, et pour l’accès ou l’exercice du pouvoir politique ou coutumier » liste le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. La province de l’Ituri est en état de siège depuis 2021, tout comme le territoire de Béni dans le Grand Nord-Kivu. Dans cette constellation de conflits, le Petit Nord-Kivu connait des violences quasi continues depuis trente ans. Parmi les belligérants, on trouve le M23, un groupe armé connu de longue date. Il avait déjà pris de force Goma, le chef-lieu du Nord-Kivu, en 2013, puis a repris le conflit en lançant une offensive sur des villages du Rutshuru en mars 2022. 

Les premiers déplacements de populations du printemps 2022 

Rapidement, les premiers villageois victimes de violence fuient leur maison et trouvent refuge dans les églises et écoles du nord de Goma, à Kanyaruchinya et Kibati. Le nombre de déplacés augmente dans des proportions qui permettent de les prendre en charge au cours du mois de mai 2022. En effet, le M23 attaque les localités de Kibumba et de Bunagana, la ville-frontière avec l’Ouganda. C’est le signal d’un premier changement d’échelle du conflit.

République démocratique du Congo

Contexte et action
  • 107 millions d'habitants
  • 179ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
  • 524 327 personnes bénéficiaires

Séraphin Bwanakweli, coordinateur de programmes Eau, assainissement et hygiène (EAH) en RDC pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, se souvient du mouvement de population engendré par ces offensives :  « Les gens ont entendu les détonations des armes, les bombes, les affrontements entre le M23 et les Forces Armées de la RDC. C’était brutal. Ils ont fui vers Goma. 23 kilomètres à pied jusqu’à l’entrée de Goma. Sans eau, sans manger. Ils sont arrivés fatigués et malades. »

L’équipe de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, déjà présente dans la région, se mobilise immédiatement. Les premières distributions d’eau sont organisées, ainsi qu’une évaluation des besoins. « Les gens étaient partis très vite, alors ils n’avaient rien. Ils étaient dehors, sans abri. L’église était surchargée, ainsi que tous les alentours, c’était énorme. Il n’y avait pas d’eau, pas à manger, pas d’abri, raconte Justine Muzik-Piquemal, directrice régionale pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. L’eau manquait tellement, j’ai vu un enfant lécher les gouttes qui stagnaient dans la rainure d’un bureau d’une école. Il y avait des problèmes de latrines faramineux, les personnes allaient déféquer dans la forêt et sur le retour les femmes se faisaient violer.  » Les bailleurs de fond débloquent des financements, les ONG s’organisent et réussissent tant bien que mal à apporter une aide aux personnes déplacées jusqu’à ce que la violence du M23 retombe dans la ville de Kibumba et permette à une partie d’entre elles de rentrer dans leur maison.  

Automne 2022, une crise dans la crise 

Mais le 28 octobre 2022, le M23 prend la ville de Kiwanja ainsi que Rutshuru-centre, recréant un mouvement de fuite des populations vers le sud. La petitesse et l’isolement géographique de la région est un élément déterminant de cette perte de contrôle. Au nord et à l’ouest, le parc national constitue une promesse de mauvaises rencontres. À l’est, c’est la frontière avec l’Ouganda. C’est pourquoi la population ne peut fuir que vers le sud et converge vers Goma. Mais Goma est elle-même une enclave, lovée entre le lac Kivu, le volcan Nyiragongo et la frontière rwandaise.

À mesure que les affrontements approchent, ce sont des milliers de personnes qui arrivent chaque jour, et des camps qui se créent sur une zone d’à peine quelques kilomètres. Rapidement la place manque. Fin octobre, la ligne de front passe sur la ville de Rugari, et toute la population trouve refuge dans les camps du nord de Goma, marquant le passage de la crise humanitaire à une situation ingérable. Les quelques latrines et points d’eau déjà aménagés au printemps ne suffisent plus. Lancelot Mermet, directeur pays en RDC pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL raconte ces jours dramatiques : « En novembre, le M23 descend vers Goma et là on ne comprend absolument plus rien à ce qui se passe. Depuis Kiwanja, heure par heure on voit le M23 prendre des villages, et heure par heure, il y a de nouveaux afflux de déplacés. Ça créé une catastrophe sur une situation déjà ingérable depuis octobre. Tous les jours, des milliers de personnes arrivent, et il n’y a de place nulle part. C’est très impressionnant. »

Enfin, en janvier 2023 vient l’ouverture d’un nouveau front par le M23 en direction du Masisi, vers la ville de Saké. Ce front reste le plus actif jusqu’à aujourd’hui avec encore un regain de violence en février 2024, alors que Saké subit une nouvelle offensive du groupe armé. « Les conditions de vie dans les sites de déplacement extrêmement surpeuplés à Goma et aux alentours sont désespérées.” note l’ONU le 20 février dernier. Et de constater « une augmentation spectaculaire des cas de choléra en raison du manque d’eau potable, d’hygiène et d’assainissement adéquats. » Ce nouvel afflux de personnes parachève la situation actuelle. « On est à 900 000 personnes déplacées autour de Goma, précise Lancelot Mermet. C’est absolument hallucinant. Sur la fameuse route Goma-Saké, les sites de personnes déplacées, occupent tellement l’espace, que les affrontements sont parfois très proches. Des obus tombent en plein dans les sites de déplacés, et il y a des morts. Pour ne pas mettre nos équipes en danger, nous partons dès qu’il y a des bombardements. Mais cela met en stand-by nos distributions, et c’est la double punition pour les déplacés. »

Des personnes déplacées sur le site de Nzulo, territoire de Masisi, province du Nord Kivu, République démocratique du Congo, Avril 2024.

Aujourd’hui, le M23 est toujours actif et les 900 000 personnes déplacées ne pourront pas rentrer chez elles avant longtemps. Pourtant, les financements manquent cruellement pour faire face à cette crise. Autour de Goma, des abris faits de bric et de broc s’amoncellent et s’écroulent. Les latrines débordent et les moyens manquent pour les entretenir, si bien que le choléra ressurgit et menace. Dans ces conditions anarchiques, les personnes, adultes et enfants, ne sont pas protégées et subissent des violences, agressions, viols… La guerre aussi présente dans les camps, avec les groupes armés et les bombardements, crée des mouvements de foule meurtriers. Ces conditions de vie délétères et qui s’éternisent détériorent la santé mentale des victimes. Les habitants de Goma subissent également de forts impacts : les agriculteurs et agricultrices qui fournissaient la ville en denrées alimentaires sont justement les personnes qui ont dû fuir vers les camps de déplacés. Ils n’ont donc plus la possibilité de cultiver leurs terres. De même, les relations commerciales sont gravement ralenties avec toutes les villes touchées par le conflit. En conséquence, les prix augmentent et la crise alimentaire s’aggrave. SOLIDARITÉS INTERNATIONAL est toujours présente aux côtés de la population, qu’elle soit déplacée ou retournée, où qu’elle se trouve. Nous traitons et distribuons de l’eau, nous construisons des latrines et des douches par centaines. Nous plaidons également auprès des bailleurs et nous informons le public de la situation, car il faut fédérer les forces autour du pays. La République démocratique du Congo a besoin de l’attention, des financements et de l’expertise de tous.  

Source : 
¹CYCLE DE PROGRAMME HUMANITAIRE 2024 – OCHA

© Guerchom Ndebo / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL

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