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Soudan : définition d’une famine imminente

Publié le mercredi 10 avril 2024

Le 15 avril 2023, Khartoum, la capitale du Soudan, bascule dans une guerre sans merci qui s’étend en quelques jours sur une grande partie du pays. Les camps qui se disputent la domination sur le pays paralysent l’agriculture, le commerce et toute activité économique, au point que les observateurs s’inquiètent, depuis des mois, de l’émergence d’une famine. Aujourd’hui, tous les signaux d’alerte passent au rouge, mais les réactions tardent encore.  

“Tous les marchés ont été attaqués, pillés. Les gens ont perdu toutes leurs possessions. Il fallait passer de maison en maison pour récupérer des provisions et de l’eau mais on nous tirait dessus si nous sortions. Quatre de mes voisins, dont deux enfants, sont morts, tués alors qu’ils allaient chercher de l’eau à la pompe au petit matin” raconte Aldambari, travailleur humanitaire pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. À Geneina, capitale du Darfour Occidental, un système d’entraide entre voisins, basé sur le partage des ressources et des provisions se met en place durant les premières semaines du conflit et se prolongera pendant tous les épisodes du conflit. Mais la situation n’est pas tenable et beaucoup fuient les combats vers le Tchad, pays voisin qui a accueilli plus de 560 000 personnes depuis le début du conflit. 

La mise à l’arrêt de l’agriculture soudanaise 

Après un an de combat, les champs de millet et de sorgho se sont transformés en champs de bataille. Les champs n’ont pas pu être semés et donc il n’y a aucune récolte. Aux Darfour central et au Darfour occidental, ce sont seulement environ 10% des terres qui ont pu être cultivées¹. En cause, l’impossibilité pour les agriculteurs de se rendre dans les champs, le manque de ressources pour acheter les semences, l’indisponibilité des intrants ou encore les systèmes d’irrigation détruits. Alors que l’exportation vers d’autres villes ou pays limitrophes au Soudan battait son plein avant la guerre, la filière agricole est bloquée à cause des combats. Des milliers de personnes se retrouvent dans des camps de déplacés dans le Nord Darfour, sans accès aux marchés et à l’eau potable. La situation humanitaire est indéfinissable. 

  • 43 millions d'habitants
  • 172ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
  • 21 000 personnes bénéficiaires

Résultat, aujourd’hui, la situation est plus que dramatique. ”Si rien n’est fait, rappelait Justine Muzik Piquemal, Directrice régionale pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL dans un communiqué de presse en février dernier, on va droit vers une situation de famine, notamment dans les États du Darfour !”. La réalité a dépassé ses prédictions.  

“La population en est réduite à consommer de la nourriture sauvage : feuilles, insectes, cosses d’arachide, etc. Si c’est une pratique dans certains pays, ça ne l’était pas au Soudan avant la guerre. Les familles vendent leurs dernières affaires, leurs derniers bijoux, parfois même leurs chevaux et leurs ânes pour pouvoir se nourrir. Les parents se privent de repas pour les laisser aux enfants. De nombreuses personnes n’ont assez de nourriture que pour un seul repas par jour, et certaines n’ont même pas cette possibilité” explique Annie Brett. Annie a la charge de conduire une évaluation de la situation alimentaire dans la province autour de Geneina pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. Ses premières conclusions montrent que, malgré la situation, les agriculteurs souhaitent se remettre à cultiver leurs terres : “Les agriculteurs que je rencontre demandent certes de l’aide alimentaire d’urgence mais aussi des semences, des outils, des pompes d’irrigation, des vaccins et des médicaments pour leur bétail”.  

Contrer l’effondrement économique 

Au-delà du secteur agricole, c’est l’ensemble de l’économie qui est détruite à cause de la guerre. Les secteurs qui fournissaient beaucoup d’emploi aux travailleurs journaliers, sont quasiment à l’arrêt. Les administrations fonctionnent au ralenti, tout comme les marchés, qui reprennent difficilement leurs activités et ne représentent qu’une fraction de leur taille initiale. “Tout le monde cherche du travail mais il n’y en a pas. Les personnes se mettent à vendre du bois de chauffe ramassé dans les champs mais personne n’a d’argent pour le payer” explique Annie. Selon Fewsnet, les prix sont en moyenne 45% plus élevés que l’année dernière. “Tout coûte cher. Même si les marchés étaient ravitaillés, la population ne pourrait rien acheter” confirme Aldambari.  

Dans l’ouest, la situation est catastrophique mais l’est du pays n’est pas en reste. A Gedaref, ancien grenier du Soudan, la population a vu arriver des milliers de personnes déplacées de Khartoum et de Madani. Les habitants, vivant déjà souvent dans des situations précaires, ont accueilli ces déplacés, ce qui accentue la pression sur leurs ressources. 

Si une partie de la solution se trouve dans la distribution d’aide alimentaire d’urgence, il est important de ne pas se limiter à cette forme de soutien humanitaire : “Il faut aussi penser à demain car si on ne pense pas à la prochaine saison agricole, on se retrouvera dans une situation similaire, voire pire”, projette Annie. Il faut donc dès à présent, alors que la guerre fait encore rage dans le pays, soutenir les agriculteurs pour qu’ils puissent reprendre les cultures sur leurs terres là où l’accès est sécurisé, et aider les propriétaires de bétail à prévenir la mort de leurs animaux. Ces productions agricoles permettront de renflouer les marchés alimentaires locaux dans quelques mois, une fois que le pic des distributions alimentaires d’urgence sera passé, et de relancer les activités économiques 

L’aide humanitaire doit être pensée et mise à l’échelle de l’ampleur de la catastrophe alimentaire en cours au Soudan.  

“Ce qui me scandalise profondément, c’est cette incapacité à anticiper la famine. On la voit arriver, mais on ne fait rien. On connait très bien la situation depuis plusieurs mois déjà, et aucun élément ne nous permet de penser que ça va s’améliorer. Je ne sais même pas comment c’est possible d’en arriver là sans que la communauté internationale ne réagisse !”, conclut Fanny Vagne, coordinatrice terrain à Geneina pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL.  

Sources : 
¹Selon le CERF (Central Emergency Response Fund)

Photo entête : © Abulmonam Eassa

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