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Trouver de l’eau, une tâche quotidienne impérieuse à Mayotte

Publié le lundi 4 décembre 2023

Retour du terrain

Aménis, chargée de communication pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, s’est rendue à Mayotte fin octobre. Elle a été reçue par les équipes de la mission mahoraise qui l’ont emmenée sur le terrain afin de comprendre et mettre en lumière la crise de l’eau à Mayotte. 

Bonjour Aménis, peux-tu me raconter comment s’est passée ton arrivée à Mayotte ? 

Dès la sortie de l’avion on ressent une chaleur écrasante. J’ai atterri à 8h du matin, il faisait déjà 33 degrés. J’ai pris la barge pour passer sur l’île principale, Grande Terre, et rejoindre la base de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL dans le quartier de Mamoudzou. L’île subit de nombreuses coupures d’eau depuis des mois, mais j’ai eu la chance d’arriver à un moment où il y avait de l’eau. J’ai donc pu prendre une douche et remplir mes réserves d’eau pour les jours suivants.  

Où en est-on avec l’eau à Mayotte ?  

Ça dépend de la situation de chaque personne. C’est compliqué pour tout le monde, mais la vraie différence se joue entre ceux qui ont un raccordement à l’eau et ceux qui n’en ont pas.  

Pour ceux qui ont un raccordement, l’eau arrive au robinet un jour sur trois. Elle arrive un soir vers 16/17h, jusqu’au lendemain 10/11h. Ensuite il faut attendre 54 heures pour qu’elle revienne. C’est très contraignant. Il faut se rendre disponible, même si on travaille, même si on a d’autres contraintes. Se laver, faire sa vaisselle, sa lessive, et remplir ses réserves, tout ceci prend du temps. Gérer l’eau est devenue une véritable tâche domestique. Et puis il faut savoir la stocker, car en 54h, sa qualité peut devenir problématique. Même dans les canalisations restées vides durant ces 54h, des bactéries peuvent se développer. L’Agence régionale de santé rassure sur le fait que l’eau des robinets est bien potable, mais les gens préfèrent ne pas boire cette eau-là. J’ai rencontré des personnes qui m’ont dit avoir eu des maux de ventre et des diarrhées suite à la consommation d’une eau impropre. Ceux qui le peuvent vont acheter de l’eau minérale, qui est chère.  

  • 68 millions d'habitants
  • 28ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
  • 5 035 personnes bénéficiaires

Et que se passe-t-il pour ceux qui ne sont pas raccordés à l’eau ? 

Pour eux, la situation est très difficile. 29% des foyers mahorais ne sont pas raccordés à l’eau courante d’après l’INSEE. C’est énorme. Ces personnes sont contraintes de s’approvisionner aux bornes fontaines monétiques et aux rampes à eau.  

Les bornes fontaines monétiques sont activées par une carte magnétique. Il faut acheter du crédit, c’est un service payant pour lequel il faut recharger sa carte dès épuisement du crédit au seul point de recharge de l’île. Les personnes en situation irrégulière dont les déplacements sont limités par la forte présence de la police aux frontières en sont donc écartées et doivent trouver des arrangements comme se tourner vers des eaux de surface non-sécurisées. Les rampes à eau sont des alignements de robinets mis en place pour faire face à la pénurie, qui fonctionnent gratuitement. Le problème est que ces bornes fontaines monétiques, déjà largement insuffisantes avant la crise, subissent à présent les coupures d’eau. Elles ne fonctionnent que deux fois 18h par semaine, et l’eau n’arrive pas forcément aux horaires, ni pour la durée, prévus. Il y a un vrai problème de lisibilité pour les personnes.  

Le département français affiche un volume d’eau par habitant inférieur au seuil de pénurie fixé par l’Organisation mondiale de la santé. La ressource en eau dépend très fortement de la pluviométrie, déjà très imprévisible, et dont la raréfaction – du fait du réchauffement climatique – pourrait faire de la crise de 2023 une norme. 

Source : Grandir dans les outre-mer – État des lieux des droits de l’enfant – 2023 – UNICEF 

Quelles sont les conséquences de cette difficulté de distribution de l’eau ? 

Il y a toujours de longues queues aux bornes fontaines et aux rampes. Les gens restent des heures. J’ai rencontré un jeune homme qui me disait que sur une journée, ça lui prend trois ou quatre heures pour faire les allers-retours. Une jeune fille m’a dit qu’elle remplissait six à sept jerricans deux fois par semaine avec sa famille, et que ça leur prenait trois heures à chaque fois. Et une autre personne m’a dit qu’elle venait à cinq heures du matin et qu’entre l’attente et les allers-retours, ça l’occupait jusqu’à quinze heures. Ça m’a saisie de voir des personnes pour qui la collecte de l’eau est au cœur de la journée. C’est du temps pendant lequel ils ne peuvent pas travailler, pas s’éduquer, pas accomplir leurs autres tâches. Ne pas avoir accès à l’eau aggrave la précarité des personnes déjà vulnérables. 

Il existe quelques endroits où l’eau n’est jamais coupée. On appelle ça le chemin de l’eau. Ce chemin dessert l’hôpital, les établissements scolaires, certains établissements publics et industries, les rampes et certaines bornes fontaines. Mais ces lieux sont largement insuffisants. Leur rareté génère des files d’attente immenses.  

Le manque d’eau entraine aussi des problèmes d’hygiène et d’accès à l’assainissement.  

À Mamoudzou, dans le quartier de Cavani, un campement informel de demandeur.se.s d’asile s’est formé autour des bureaux d’une association qui leur vient en aide. Ce sont des personnes qui arrivent d’Afrique continentale, souvent des personnes isolées, et qui parlent des langues différentes. Ces conditions ne favorisent pas l’entraide. J’ai été très marquée par ma rencontre avec Baba Gloire, un jeune demandeur d’asile congolais. Il a grandi à Goma. C’est un pays dans lequel SOLIDARITÉS INTERNATIONAL mène des actions depuis l’an 2000. Baba Gloire a fui son pays à cause des guerres et conflits armés. Il demande l’asile à Mayotte, donc il n’est pas en situation irrégulière. Il est au campement de Cavani depuis quelques mois, il voit que les conditions d’hygiènes sont très précaires alors il a envie de changer les choses. Il m’a montré des toilettes utilisées par des centaines de personnes, hommes, femmes et enfants. Pas éclairées, pas sécurisées la nuit, pas entretenues, pas hygiéniques. Il aimerait mettre en place un système de nettoyage par les personnes qui utilisent ces latrines, faire en sorte qu’elles soient plus sécurisées, qu’on limite les risques d’épidémies.  Je l’ai trouvé très engagé, très résilient, une vraie force de proposition ! Ça m’a saisie de voir que la précarité dans laquelle il évolue ne l’arrête pas. Il est en recherche constante d’amélioration des conditions de vie pour lui mais aussi pour les personnes du campement.  

L’absence d’eau (ou la mise en place de coupures d’eau prolongées) comme cela a déjà été observé lors de la crise de 2016-2017, peut générer des flambées épidémiques : infections gastro-intestinales et maladies hydriques endémiques à Mayotte telles que la fièvre typhoïde ou les hépatites A, pour lesquelles des foyers de contamination sont détectés régulièrement sur le territoire. Par le passé, Mayotte a connu une importante épidémie de choléra dans les années 1998-2000. 

Source : Grandir dans les outre-mer – État des lieux des droits de l’enfant – 2023 – UNICEF 

Que propose SOLIDARITÉS INTERNATIONAL pour faire face à cette situation ? 

Le véritable problème, en cas de pénurie d’eau, est le risque d’épidémies. Aujourd’hui, nous distribuons des kits d’hygiène contenant des dentifrices, des brosses à dent, de la lessive, pour permettre aux personnes de rester dignes. Ces kits contiennent également des contenants adaptés. Des seaux avec couvercles, des jerricans avec robinets. Nos équipes distribuent aussi des filtres ORISA pour purifier l’eau. Ces filtres correspondent aux besoins des personnes qui s’approvisionnent dans les puits ou les rivières. Par exemple le quartier de Langara s’approvisionne à un puits très boueux. Son eau n’est pas claire. Le filtre permet de la rendre propre à la consommation.  

Les trois salariés de la base mahoraise : Kelly, Ariane et Anthony, ont identifié de nombreux besoins auxquels ils aimeraient répondre. Ils voudraient développer de nouveaux projets pour que plus de personnes en bénéficient, mais il manque du financement pour mettre en place ces actions à Mayotte.   

À quoi peut-on s’attendre dans les mois à venir ? 

La saison des pluies va arriver, mais elle n’engendrera pas instantanément une augmentation du réservoir d’eau. Il faut qu’il pleuve suffisamment, et il faut compter le temps de traitement de l’eau. Donc le mois de décembre sera encore compliqué.  

La saison des pluies engendre aussi d’autres problématiques. Dans beaucoup de quartiers où je me suis rendue, elle crée des inondations. Cela va rajouter des problèmes, car quand le réseau d’assainissement déborde, il peut contaminer des eaux saines.  

Le dérèglement climatique va modifier la durée et l’intensité des saisons. La gestion de l’eau était déjà une gageure avant la crise, mais cette difficulté va augmenter avec le dérèglement.  

Photo d’en-tête : © SOLIDARITÉS INTERNATIONAL

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