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Haïti : adapter la réponse humanitaire aux violences urbaines

Publié le lundi 19 février 2024

Le 7 février 2024 aurait voir la fin du gouvernement de transition en Haïti. À cette date, Ariel Henry, premier ministre devenu chef du gouvernement suite à l’assassinat de Jovenel Moïse en 2021, aurait démissionner pour laisser la place à un gouvernement élu comme prévu par l’accord du Montana de décembre 2022. Mais rien n’a été possible. Sans solution politique, le pays poursuit sa chute vertigineuse, entrainant sa population dans la violence et la misère. Alors que les gangs armés tiennent le pays en étau, les élections semblent toujours hors de portée et la population subit un niveau de violence inédit. Sur les 12 millions d’habitants, on compte aujourd’hui 5,5 millions de personnes dans le besoin d’une aide humanitaire, dont la moitié sont des enfants. Un défi pour les acteurs humanitaires, dans lequel l’expertise de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL en accès aux populations est particulièrement précieuse.  

Accéder à des populations menacées par les gangs

« J’ai déjà eu à évacuer des équipes à cause des risques de tirs croisés entre gangs rivaux. Soudain un gang arrive, ça part en tirs croisés et là on peut être touchés. Mais on ne sera pas ciblés en tant qu’humanitaires parce qu’il y a une vraie discussion entre eux et nous. On ne discute jamais avec les chefs de gang, mais on discute avec les leaders sur zone. Ce travail sur l’accès communautaire est essentiel en Haïti. » décrit Anne Prugnaud, Directrice Pays chez SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. Car si les bénéficiaires sont accessibles physiquement, il faut obtenir des gangs qu’ils ne s’attaquent pas à eux lors d’une distribution. « Le travail avec les leaders sur zones est primordial. Par exemple, nous réhabilitons une école dans le quartier de Bel Air, juste à côté de là où la situation a dégénéré fin janvier.  Les leaders m’ont appelée et m’ont prévenue que 250 personnes venaient d’arriver dans une zone très exigüe. On a chargé les bennes des voitures avec des kits abris et on a distribué immédiatement. »
Ces scènes ont lieu alors que la population haïtienne fait face à une des pires crises de son histoire récente. La vie sous l’emprise des gangs a atteint un niveau de violence cataclysmique. En janvier 2024, au moins 1 108 personnes ont été blessées, tuées ou kidnappées, soit plus de trois fois plus qu’en janvier 2023¹.

  • 11,84 millions d'habitants
  • 163ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
  • 110 215 personnes bénéficiaires

Les sites de déplacés urbains de Port-au-Prince 

On ne peut plus habiter son quartier et fuir est rarement une option, car la ZMPP est complètement isolée du reste du pays. Les routes sont sous contrôle des gangs qui ne laissent passer qu’en rançonnant et s’emparent des camions et de leur chargement.  

Photo : © SOLIDARITÉS INTERNATIONAL

C’est ainsi que les personnes se retrouvent déplacées dans des sites informels à l’intérieur de leur propre ville. Elles fuient la violence des gangs, prennent une église, une école, un terrain de basket et s’y installent. Pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, intervenir dans ces conditions est un défi. Les espaces sont trop étroits pour les camions. Seuls les pick up peuvent amener les kits à distribuer. Il faut être ultra réactif, prêt à tout remballer dans l’urgence si la situation dégénère. « Il faut que ça aille vite, parce qu’on ne veut pas rester trop longtemps sur site, explique Anne Prugnaud. Tout peut vraiment capoter en une minute et il faut pouvoir évacuer. On utilise donc un tracking, un suivi via GPS, qui nous permet de voir en direct les équipes et de les guider sur les routes d’évacuation. » 

Fruits d’une longue tradition de mercenariat au service de dirigeants et de familles influentes – les fameux tontons macoutes de Duvalier en 1958 – les gangs armés ont prospéré en Haïti jusqu’à contrôler aujourd’hui plus de 80% de la Zone métropolitaine de Port-au-Prince (ZMPP). Et depuis 2023, leur empire s’étend vers les autres régions, particulièrement vers l’Artibonite, le grenier à blé du pays.  « Dans un contexte d’insécurité marqué par l’absence de perspectives économiques et sociales, les jeunes garçons, en particulier dans les quartiers sous leur contrôle, rejoignent leurs rangs (…) Entre 30 et 50% de leurs membres sont des mineurs souvent contraints de les rejoindre par crainte de représailles contre leur famille ou eux-mêmes » apprend-on dans le Cycle de programmation humanitaire².  

La situation représente aussi une difficulté pour les populations hôtes qui voient soudainement arriver des centaines voire des milliers de personnes dans leur quartier. Le manque de latrines implique la défécation à l’air libre et l’accumulation de déchets, et les tensions communautaires s’exacerbent. « Aujourd’hui, il faut impérativement intégrer les populations hôtes dans l’assistance humanitaire, précise Anne Prugnaud, sinon on créera des tensions et l’impact sera négatif. » SOLIDARITÉS INTERNATIONAL intervient donc sur ces sites de déplacés en tenant compte de ces implications. L’équipe assure aux personnes l’accès à une eau saine, installe des latrines, distribue des kits Abris et des Kits d’hygiène et ramasse les déchets.  

Dans ces conditions de surpopulation et de précarité extrême, le choléra avait ressurgi en 2022. Grâce à une mobilisation des communautés haïtiennes, de tous les acteurs étatiques et l’appui d’organisations internationales, notre équipe de spécialistes de la réponse Choléra a mis en place des actions d’assainissement, de sensibilisation à l’hygiène et de chloration de l’eau. Nous avons ainsi participé à un contrôle progressif de l’épidémie. C’est aussi une démonstration de la résilience de la population.
L’équipe intervient également dans des écoles pour installer des sanitaires et transmettre les bonnes pratiques de lavage de main. La condition sine qua non pour éviter la propagation des maladies hydriques. 

Plus de 110 000 personnes ont bénéficié de l’aide de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL en Haïti en 2022, et l’absence de perspective politique de résolution du conflit invite à poursuivre l’aide apportée. Dans son rapport de 2024, le groupe d’expert du Conseil de sécurité de l’ONU note : « En juin 2023, 30 % de la population souffrait d’une faim aiguë. Près de 2 millions de personnes sont en phase d’urgence, ce qui indique que près de la moitié d’Haïti est confrontée à une grave insécurité alimentaire. » En 2024, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL se prépare donc à ouvrir un nouveau front pour son action, celui de la lutte contre la malnutrition. 

Si pour les populations, les gangs sont une malédiction, ils sont souvent un outil électoral efficace. L’ONG Global Initiative Against Transnational Crime estime qu’en 2022, les gangs contrôlaient plus de 3,5 millions d’électeurs³ et leur puissance n’a fait qu’augmenter depuis. La galaxie des 200 gangs (dont plus de 100 à Port-au-Prince) tantôt coalisés tantôt rivaux, tend aujourd’hui à s’émanciper de ses puissants financeurs, selon le groupe d’experts de du Conseil de sécurité de l’ONU, et à développer ses ressources propres.  La pratique du kidnapping a ainsi augmenté de 71% entre les neuf premiers mois de 2022 et la même période de 2023⁴, avec des rançons délirantes au regard des conditions socio-économiques du pays (jusqu’à 500 000 US dollars pour les familles aisées⁵). Ces jeunes hommes armés jusqu’aux dents s’emparent de rues entières, brûlent les maisons, rackettent les commerçants, assassinent et violent de façon exponentielle depuis cinq ans. Les cas de viol ont connu une augmentation de 49% de janvier à octobre 2023 par rapport à 2022 à la même période⁶. 

Photo d’en-tête : © SOLIDARITÉS INTERNATIONAL

Sources :
¹ Haïti : le mois de janvier a été le plus violent depuis plus de deux ans | ONU Info (un.org) 
² OCHA – Janvier 2024
³ Summer-Walker-Les-gangs-en-Haïti-Expansion-pouvoir-et-aggravation-de-la-crise-GI-TOC-octobre-2022.pdf (globalinitiative.net)
UNDSS
Lettre datée du 15 septembre 2023, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Groupe d’experts créé par la résolution 2653 (2022) du Conseil de sécurité 
AoR VBG

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