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À Mayotte, des solutions alternatives pour parer à la crise de l’eau

Publié le jeudi 26 octobre 2023

Depuis quelques mois, une crise de l’eau majeure sévit à Mayotte. Ce département français, largement dépendant de l’eau de pluie et de la désalinisation, est frappé de plein fouet par une sécheresse aux conséquences importantes. Face aux coupures d’eau à répétition, aux pénuries de plus en plus importantes, aux menaces sanitaires qui se multiplient et aux risques d’épidémies en hausse, il est crucial de venir en aide à la population. SOLIDARITÉS INTERNATIONAL souhaite mettre en place des solutions alternatives sur l’île. Anthony Bulteau, coordinateur terrain à Mayotte pour l’ONG, nous explique. 

Quel est le contexte actuel à Mayotte ? 

La quantité d’eau accessible à Mayotte est alarmante en temps normal mais depuis plusieurs mois, les habitants de l’île de Mayotte font face à une sécheresse importante. Le niveau des retenues collinaires, des lacs artificiels créés pour stocker l’eau de ruissellement, n’a jamais été aussi bas à cette période ; et l’étiage, le niveau le plus bas d’un cours d’eau, intervient avec plusieurs mois d’avance. 

Un constat que nos équipes ont relevé dès le mois de février et qui annonçait une saison sèche particulièrement difficile avec des prolongations des coupures d’eau décidées par les pouvoirs publics. Ces dernières sont récurrentes à Mayotte depuis plusieurs années. Elles visent à assurer un stock suffisant d’eau pour faire face à la saison sèche qui s’étend en général du mois d’avril à octobre. Les usines de traitement ne parviennent plus à traiter l’eau chargée en boues et en manganèse. 

Cependant, si l’année dernière, les coupures ont duré jusqu’à la fin de la saison des pluies, qui court de novembre à mars 2022, cette année, la situation est différente : les coupures ont été maintenues et même renforcées. Le 4 septembre, les pouvoirs publics annonçaient que l’eau potable sera complètement coupée sur l’île deux jours sur trois. Cette mesure d’urgence face à une sécheresse inédite a des conséquences importantes sur les populations. 

  • 68 millions d'habitants
  • 28ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
  • 5 035 personnes bénéficiaires

Quelles sont les populations les plus touchées et comment s’organisent-elles ? 

Il est difficile d’avoir des chiffres précis mais selon l’INSEE environ 30 % de la population, soit près d’une personne sur trois n’aurait pas accès à de l’eau courante à domicile en particulier les milliers de personnes vivant dans les bidonvilles surpeuplés de l’île. 

Les coupures compliquent considérablement le quotidien des populations. Ces dernières doivent s’organiser pour remplir des bouteilles, des seaux, des poubelles afin de pouvoir se laver ou encore faire la vaisselle. Une autre possibilité est d’acheter des packs de bouteille d’eau. Mais leur prix rend cette option inaccessible pour beaucoup de personnes. A l’heure actuelle, malgré un arrêté instituant un bouclier tarifaire, le pack d’eau coûte entre cinq et huit euros, soit quatre fois plus cher qu’en métropole. 

Les populations les plus vulnérables, notamment celles des bidonvilles, peuvent se ravitailler aux bornes d’eau potable installées il y a près de dix ans par les autorités. On en compte moins d’une centaine sur l’île. Néanmoins, ce nombre est insuffisant pour pallier le manque d’eau dans les quartiers les plus précaires. De nombreuses personnes sont parfois contraintes de parcourir de longues distances avant de trouver une borne et de patienter parfois pendant des heures avant d’y accéder. De plus, trois quarts de ces bornes subissent aussi des coupures d’eau. Dans plusieurs quartiers sans accès à l’eau potable et où un seul robinet est disponible pour l’ensemble de la population le constat est similaire : les files d’attente ne cessent de s’allonger. Pour y faire face, des rampes d’eau ont été installées ainsi que quelques citernes mobiles ponctuellement réapprovisionnées. 

Quels sont les risques sanitaires posés par le manque d’accès à l’eau potable à Mayotte ? 

Selon l’INSEE, les 310 000 habitants de l’île n’ont d’autres choix que de se rationner. Sauf que l’eau, à force d’être coupée, présente des risques sanitaires. C’est ce qu’a mis en avant l’Agence régionale de santé (ARS). Des bactéries peuvent s’infiltrer dans les canalisations lors des coupures. Il faut donc un certain temps pour que les réseaux s’assainissent. L’eau est pendant un long moment impropre à la consommation humaine.  

Si des recommandations ont été données à la population, comme faire bouillir l’eau avant de la boire, elles sont insuffisantes. La population boit l’eau des puits, des rivières, or cette dernière est contaminée.  

On observe sur l’île une augmentation du nombre de personnes présentant des troubles digestifs, des vomissements ou une forte déshydratation. Depuis la fin de la saison des pluies, Santé Publique France annonçait une hausse des infections urinaires. Des maladies hydriques comme la typhoïde et l’hépatite se multiplient depuis plusieurs années, de même que les maladies de peau comme les abcès. Il y a également une crainte de la part des pouvoirs publics d’une épidémie de maladie hydrique type choléra. 

Sur le plan sanitaire, la situation est de plus en plus inquiétante, il est nécessaire de mettre en place des solutions pour éviter la multiplication et la propagation de ces maladies et épidémies. 

Comment SOLIDARITÉS INTERNATIONAL répond à cette crise de l’eau à Mayotte ? 

Nous sommes présents à Mayotte principalement pour creuser les solutions posées par un déficit de quantité d’eau produite par rapport aux besoins de la population de l’île et particulièrement pour les personnes les plus vulnérables et marginalisés. Aujourd’hui, pour répondre aux défis posés par la crise de l’eau dans ce département, nous avons développé une stratégie qui se concentre sur trois axes.  

Dans un premier temps, nous travaillons quotidiennement avec d’autres associations pour assurer la coordination de nos actions, pour mieux connaître les terrains, les besoins et faciliter les échanges avec la population touchée. C’est essentiel pour mener des diagnostics des besoins, pour identifier les quartiers sensibles aux risques de stress hydrique ou encore aux maladies hydriques.  

Nous cherchons également à assurer une réponse épidémique. En effet, le manque d’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène augmente les risques de propagation d’épidémies et de maladies hydriques. Pour limiter une multiplication des cas, nous travaillons sur des solutions alternatives de « réductions des risques ». Dans certains quartiers, nous avons déjà procédé à la distribution de filtres. Ces derniers ne permettent pas d’avoir une eau potable qui réponde aux normes de conformité établies par l’Agence régionale de santé, néanmoins nos expérimentations ont révélé que l’utilisation de ces filtres permettait d’obtenir une eau débarrassée à plus de 99% des bactéries. Cette eau peut être utilisée pour laver le linge par exemple et permet ainsi de rationaliser la ressource et de favoriser la réduction des risques. L’idée, à terme, c’est de convaincre les autorités sanitaires de se saisir de ces solutions pour permettre aux personnes de ne pas tomber malade.  

Nous voulons agir en collaboration avec les services publics, instiller une dynamique positive, et concourir à une optimisation de l’utilisation de la ressource en eau. Actuellement, nous développons aussi, des solutions alternatives à travers la récupération, le stockage et l’utilisation de l’eau de pluie. Pour citer un exemple, nous intervenons actuellement sur un centre de relogement pour des personnes qui ont subi une opération de résorption de l’habitat insalubre. Ce site, mis en place par la municipalité de Koungou, prévoit d’héberger 110 personnes. Il y a à peu près 450 de toiture sur lesquels nos équipes vont récupérer l’eau de pluie, la stocker et la redistribuer ensuite vers les sanitaires. Ce projet pourrait permettre, à terme, de répondre à 20% des besoins en quantité d’eau consommée par les personnes sur le site. La récupération de l’eau de pluie est intéressante dans la mesure où cela peut se faire au niveau local, ça ne coûte pas cher et c’est rapide à mettre en place.  

Notre objectif, c’est de militer en faveur de ces solutions pragmatiques pour répondre aux enjeux sanitaires de l’île. 

Photo en-tête : © Lola Fourmy

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