Au nord du Mali, la raréfaction de la ressource en eau liée aux sécheresses de plus en plus récurrentes, à la pression démographique liée à la réduction de la mobilité dans un contexte d’occupation armée et d’insécurité, fait de la question du partage des eaux un enjeu crucial de survie et de stabilité.
Par Natacha Calandre, Référente Sécurité Alimentaire et Moyen d’Existence
La question de l’eau ne peut être dissociée de celle des terres, des sols et des écosystèmes. Le rôle de l’eau est multiforme par ses implications et agit à la fois sur la santé et la nutrition, sur la production agricole, pastorale et halieutique, sur les revenus et l’accès aux éléments vitaux et sur la stabilité politique et socio-économique. Le partage de l’eau entre ses divers usages amène à penser la gestion et la valorisation des ressources de manière intégrée entre production et consommation, entre quantité et qualité de l’eau et des aliments, développement écologiquement durable et accès socialement juste. La problématique de l’eau au nord Mali est une bonne illustration des liens entre espaces et pouvoirs et amène à prendre en compte, dans l’action, la multiplicité des enjeux, l’emboitement des territoires et la complexité des intérêts des acteurs.
UNE SUPERPOSITION DE DYNAMIQUES DE POUVOIRS ET DE MODES D’ADMINISTRATION RESSOURCES
Dans le contexte du nord Mali marqué par un conflit devenu chronique, se superposent, aux problématiques communes de lutte contre le changement climatique, les questions de territorialisation et de contrôle des ressources, qui impactent d’autant plus la sécurité alimentaire des populations et la durabilité des milieux. La concurrence pour l’accès à l’eau engendre aussi des rivalités entre populations pastorales et agricoles, sédentaires et transhumantes, qui sont parfois davantage révélatrices de la cristallisation de tensions sociales historiques.
Ce contexte particulier dans lequel s’enchevêtrent différents types de compétition autour de l’utilisation de l’eau et des terres, complexifie l’analyse du contexte, la compréhension des différents mécanismes de gestion, de même que le développement de plans d’aménagements et de production.
Les ententes sur le partage territorial entre les différents groupes d’intérêts, l’accaparement du foncier et sa “privatisation”, de même que l’absence de règles clairement établies sur l’usage conduisent le plus souvent à une répartition inéquitable remettant en cause le droit fondamental d’accès à l’eau et à l’alimentation. Ces dynamiques de pouvoir et de propriété qui imposent une allocation des ressources sous la contrainte à certaines franges de la population représentent une autre forme de violence. Elles encouragent par ailleurs des pratiques d’exploitation non durables du milieu et entravent les capacités de gestion communautaire.
Mali
Contexte et action- 22,4 millions d'habitants
- 186ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
- 310 458 personnes bénéficiaires
DE LA GESTION DE L’OFFRE À LA GESTION DE LA DEMANDE
L’augmentation de l’offre en eau ainsi que la protection, la restauration et les aménagements des milieux naturels constituent aujourd’hui un enjeu majeur pour répondre aux besoins humains, sociaux et économiques et faire face aux différentes pressions (concentration de populations, pratiques agricoles et pastorales, urbanisation, etc.). En l’absence d’État, de cadres juridiques et institutionnels et de politiques territoriales, cette ambition ne peut que s’articuler avec une réorganisation du “ pouvoir” autour des ressources, à travers la mise en place d’unités de gouvernance locale, la formation et la promotion d’associations d’usagers et d’organisations professionnelles, ainsi que le développement de mécanismes de régulation qui tiennent compte d’objectifs sociaux, tout en incitant à un usage rationnel de l’eau. Les questions de reconnaissance des divers usages de l’eau et de défense des droits d’accès aux ressources pour tous, doivent être centrales dans le développement d’une politique de gestion de la demande en eau.
VERS DES RÉPONSES LOCALES TERRITORIALEMENT INTERCONNECTÉES :
UNE GESTION CONCERTÉE EST-ELLE POSSIBLE ?
Cette maitrise des usages suppose des changements de pratiques de réglementation et des bouleversements des modes de gestion collectifs, qui doivent s’opérer à la fois à un niveau très local pour prendre en compte la diversité des situations, et à la fois à l’échelle des territoires du fait des interconnections entre espaces et usages. Ces nouveaux rapports socioéconomiques conduisent à reconnaître l’ensemble des acteurs professionnels et locaux, agriculteurs et communautés comme gestionnaires des ressources territoriales. Cela s’accompagne d’une compréhension fine de l’historique d’occupation politique et socioculturelle des territoires, des conflits, des droits fonciers ainsi que des modes de gouvernance actuels et leur articulation avec les conventions traditionnelles.
Le développement de modes de gestion de l’eau et plus globalement des ressources, demande la création de dispositifs de concertation permettant, sur la base d’un diagnostic territorial, de négocier des accords inter et intra-communautaires et des formes “ contractuelles ”, apportant des bénéfices réciproques entre utilisateurs. Cela amène à penser de nouveaux modèles contexte-spécifiques mêlant des innovations autant technologiques, économiques et environnementales (stockage, conservation des eaux et des sols, micro-irrigation et promotion de techniques productives peu consommatrices d’eau, protection des écosystèmes, réduction des pertes, etc.) que de type organisationnel et institutionnel. La restauration d’un accès durable à l’eau et aux terres dans cette région sensible est le seul gage de progrès social et économique.
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Photos : Tiecoura NDaou / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL