La guerre dans laquelle a plongé le Soudan, le 15 avril 2023, a poussé sur les routes, à l’intérieur du pays et vers les États voisins, plus de 8,4 millions de personnes. Ce déplacement massif de population a bouleversé les conditions de vie des personnes déplacées et de celles qui les accueillent. Dans ces contextes socio-économiques complexes, exacerbés par le changement climatique, une réponse humanitaire d’ampleur est nécessaire.
“Au centre de santé de Sirba, à l’Ouest du Darfour, il n’y a même plus un mur sur lequel s’appuyer” se désole Fanny Vagne, coordinatrice terrain au Soudan pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. L’ampleur des destructions des infrastructures, la violence des combats, les pénuries alimentaires et le manque d’accès à l’eau potable sont autant de raisons qui ont poussé sur les routes plus de 8,4 millions de personnes, depuis le retour de la guerre au Soudan, il y a un an.
Le déplacement ou la perte des moyens d’existence
En quittant leur foyer, les réfugiés sont contraints de laisser derrière eux leurs biens pour n’emporter que le nécessaire. Arrachés à leurs terres, à leurs bêtes parfois, ils partent sans réel espoir de les retrouver. “Il y a un pillage systématique et méticuleux. Particulièrement de tout ce qui est métallique. Les toits, les portes, les fenêtres des maisons et tous les meubles sont partis.” souligne Fanny. Sur les routes de l’exil aussi, “le peu que les gens ont pu emmener avec eux leur est dérobé. L’extorsion et la violence les privent de tout” ajoute-t-elle.
Cette vulnérabilité est accentuée par la fragmentation du tissu social, essentiel pour répondre aux besoins vitaux des populations. “Dès le début de la guerre, avec ma famille et mes voisins, quand on était enfermés dans nos maisons, on a organisé des réunions où on s’est mis d’accord pour mettre en commun la nourriture. On s’est dit : si quelqu’un vient à manquer de quoi que ce soit, on partage. L’eau, la nourriture, les médicaments, tout.” témoigne Aldambari, habitant de Geneina qui a rejoint SOLIDARITÉS INTERNATIONAL en octobre 2023. Les réseaux de solidarité sont mis à mal par les déplacements forcés. L’éloignement physique entre ces proches et voisins, qui étaient auparavant présents les uns pour les autres, amoindrit les capacités de résilience des populations.
Soudan
Contexte et action- 48,11 millions d'habitants
- 172ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
- 367 391 personnes bénéficiaires
L’exil dans son propre pays
Au Soudan, les trois quarts des mouvements de population se sont effectués à l’intérieur des frontières du pays. “Les gens essayaient de fuir la nuit. Pendant la journée, les mouvements n’étaient pas autorisés, c’était trop dangereux” raconte Aldambari. La région de Khartoum, où les affrontements sont particulièrement intenses depuis le début de la guerre, est, à elle seule, à l’origine de 55% des déplacements internes. “Beaucoup de ceux qui ont quitté Khartoum se sont réfugiés à Gedaref, à l’Est, qui était plus calme. Là-bas, les gens ont été accueillis par les locaux, il y avait peu de camps” confie Charline Petitjean, coordinatrice terrain pour l’ONG. Pour d’autres, la situation a été plus éprouvante, les villes d’accueil ayant été à leur tour attaquées, contraignant les populations à fuir à nouveau. Au Darfour, une région marquée par les affrontements à caractère ethnique, la cohabitation forcée de différentes communautés ravive les tensions, sur fond de rivalité pour accéder aux ressources alimentaires et en eau.
Septembre 2023, à Adré au Tchad, Ali, 7 ans, boit de l’eau assis sur les affaires que sa famille a pu à emporter alors qu’ils fuyaient la localité de Murnei à l’ouest du Darfour.
Photo : © Abdulmonam Eassa
Au-delà des frontières, un chaos qui se poursuit
Au niveau régional, l’impact de la guerre est considérable puisqu’ils sont 1,7 million à avoir quitté le Soudan pour se réfugier dans un pays voisin. Le Tchad, le Soudan du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie et la République centrafricaine ont dû faire face à l’arrivée massive de personnes démunies, traumatisées, blessées, principalement des femmes et des enfants. L’accueil, sans être remis en question, est d’autant plus difficile à mettre en œuvre qu’il incombe à des pays fragiles économiquement, déjà en proie à des tensions internes et régionales. La pression accrue sur les ressources, exacerbée par le changement climatique, pose la question de la soutenabilité de l’accueil des réfugiés.
Au Tchad, plus de 560 000 personnes déplacées ont traversé la frontière depuis l’ouest du Darfour, principalement vers le Ouaddaï et ses régions frontalières, Sila et Wadi Fira. Malgré les initiatives des autorités locales pour agrandir les camps et relocaliser des familles vers des sites plus éloignés de la frontière, le nombre d’abris disponibles n’est pas suffisant face à une situation qui se dégrade. “Certaines familles avaient fui au Tchad au pic des combats, puis sont revenues au Soudan quand ça s’est calmé, et là elles vont devoir repartir parce qu’elles n’ont pas de nourriture. Les mouvements frontaliers vont s’intensifier encore plus, les stocks agricoles sont épuisés.” prévient Annie Brett, qui travaille pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL au Soudan.
Au Soudan du Sud, les conditions d’accueil des 620 000 personnes déplacées ne sont guère meilleures. 78% des arrivées concernent des Sud-Soudanais qui rentrent dans leur pays d’origine, après s’être réfugiés au Soudan pendant la guerre civile meurtrière de 2013 – 2016 au Soudan du Sud. La situation humanitaire y est toujours alarmante : plus de trois personnes sur quatre ont besoin d’une assistance humanitaire pour boire, manger et s’abriter. Les mouvements de population causés par la guerre au Soudan ont nécessairement exacerbé les besoins et accentué la pression sur des infrastructures déjà défaillantes et largement insuffisantes. Pour pallier l’urgence de la situation, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a élargi son périmètre d’action dans les états du Haut-Nil et d’Unité, les principales zones d’arrivées, au nord du pays.
L’Egypte, l’Ethiopie et la République centrafricaine font, elles aussi, face à d’immenses difficultés pour accueillir les personnes déplacées par la guerre au Soudan.
La région est touchée de plein fouet par le changement climatique, alors même qu’elle n’y contribue qu’à la marge. Partout, les périodes de sécheresse et les puissantes inondations qui se succèdent perturbent le cycle agricole, endommagent les cultures et amaigrissent les récoltes, quand elles ne les détruisent pas totalement.
“Partout, la situation est très mauvaise. Il n’y a pas assez pour les réfugiés. Les gens vont mourir, que ce soit au Soudan, au Tchad ou ailleurs” alerte Aldambari. La communauté internationale est prévenue. Une aide d’urgence est nécessaire pour soutenir les régions d’accueil et résorber la catastrophe humanitaire en cours.
Photo entête : © Adbulmonam Eassa