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Dans le Nord de la Syrie, le silence dans les bureaux résonne comme une alarme 

Publié le lundi 19 février 2024

Du 13 au 16 janvier 2024, une nouvelle escalade des hostilités dans le nord-est syrien a conduit à la destruction partielle ou totale de nombreuses infrastructures essentielles. Depuis, de nombreuses stations d’eau et stations de production d’électricité et de gaz ne sont plus fonctionnelles. Ces évènements viennent s’ajouter à une rapide détérioration des conditions économiques et climatiques, ainsi qu’à d’autres épisodes de tensions récents. Le jour du pic de l’escalade, presque la totalité des acteurs humanitaires a été obligée de restreindre ses mouvements. Dans ce contexte humanitaire déjà fragile, les populations sont désormais confrontées à des pénuries d’eau, de gaz, de carburant et d’électricité. Les besoins humanitaires sont multipliés, alors même que les moyens pour y répondre sont contraints par ces pénuries. Chargée de communication pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL dans le nord-est syrien, j’ai recueilli les paroles de mes collègues syriens et syriennes à leur retour au bureau. Tous ont été impactés personnellement, et tous me disent la peur. Tous, aussi, reviennent travailler, et me disent la nécessité, plus que jamais, de continuer à aider. 

4 jours d’interruption de l’aide 

« Beaucoup de gens que je connais ont commencé à envisager de partir dans d’autres pays, car ils ne voient aucune lueur d’espoir. » C’est ce que me raconte mon collègue syrien Abdelaziz*, jeudi 18 janvier, quand tous reviennent travailler au bureau. L’absence d’espoir se retrouve chez toutes les personnes avec qui j’échange. Pourtant toutes et tous ont continué à travailler depuis chez eux, malgré la peur, et reviennent au bureau avec la même détermination. Pendant ces quatre jours de confinement, les personnes auxquelles nous portons assistance n’ont reçu aucune aide. Pendant ces quatre jours, les bureaux étaient bien trop calmes. 

  • 22,1 millions d'habitants
  • 150ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
  • 872 261 personnes bénéficiaires

 “Les personnes déplacées ont commencé à nous appeler pour savoir quand nous allions reprendre nos activités. Elles voulaient savoir quand elles auraient de l’eau ” raconte Laila*, membre du département de Promotion à l’Hygiène.  Un retard de quatre jours pose bien sûr des contraintes logistiques, mais aussi des risques plus graves, lorsqu’il s’agit par exemple d’un délai dans la distribution d’eau potable.  En l’absence de réseau d’eau fonctionnel, la population de la région est dépendante des livraisons d’eau par camion. Pour les plus précaires, celle-ci est assurée par les ONG, afin de garantir un accès à une eau propre et en quantité suffisante. “Les personnes déplacées internes, qui sont les plus vulnérables, ont souffert de pénuries et ont commencé à acheter de l’eau à des prix très élevés.” me raconte Motaz*. Il travaille dans le département Eau, Hygiène et Assainissement, et connait bien les conséquences du problème. Sans livraison d’eau par les ONG, les personnes dépendent de camions privés dont l’eau pas toujours propre se paie au prix fort. D’autres iront puiser l’eau directement dans la rivière ou les canaux d’irrigation, sans aucun moyen de filtrage. Des solutions de dernier recours aux conséquences parfois critiques sur la santé des personnes, avec le risque de favoriser l’apparition de maladies hydriques.  

« Pour l’électricité, nous avons des générateurs de quartier, qui fonctionnent, jusqu’à présent. Mais le propriétaire nous a dit qu’il pourrait manquer de carburant, de sorte que nous devrions utiliser uniquement nos générateurs privés. » raconte Azad, qui comme les autres collègues de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, continue à évaluer l’impact du conflit pour adapter nos programmes et assister au mieux les populations affectées. « Notre stock de carburant finira par s’épuiser si la situation reste inchangée. Nous n’aurons donc pas d’électricité, et sans elle, nous ne pourrons tout simplement pas travailler. Et si les chauffeurs de nos véhicules manquent de carburant, nous ne pourrons pas subvenir à leurs besoins, ce qui affectera directement nos activités.” 

Photo : © Juliette Pedram / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL 

 “L’ensemble du cycle de vie a  été interrompu” 

« L’ensemble du cycle de vie a été interrompu parce que le conflit a affecté l’accès à l’électricité, l’accès à l’eau et même le simple fait de pouvoir sortir de chez soi pour aller travailler. » me dit Motaz. 

Une fois passés ces quatre jours, ce sont les conséquences de l’escalade qui se font ressentir. “Avant cette escalade, nous avions 4 à 6 heures d’électricité par jour via le réseau national, maintenant plus rien” dit Ali*, membre du département Logistique et Approvisionnement de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. Les infrastructures touchées étaient centrales dans la production d’électricité, de gaz et de carburant. Sans électricité sur le réseau national, la population a recours à des générateurs, lesquels fonctionnent au carburant qui manque également. Sans ces sources d’énergie, le nord-est syrien est à l’arrêt. Il faut réaliser l’impact que représentent des pénuries simultanées.  

Sans électricité sur le réseau national, la population a recours à des générateurs, lesquels fonctionnent au carburant. L’électricité permet aussi de faire fonctionner les pompes à eau. Motaz fait partie de l’équipe chargée de l’accès à eau et a l’assainissement chez SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. C’est son propre accès à l’eau qui est désormais compromis. “Auparavant, les forages qui permettent de puiser l’eau fonctionnaient 12 heures par jour, aujourd’hui ils ne fonctionnent plus que pendant 2 heures. L’eau ne peut plus être utilisée que pour les besoins les plus élémentaires du foyer, à savoir boire, et cuisiner, au dépend des pratiques d’hygiène. Nous ne pouvons plus utiliser les machines à laver, car elles nécessitent beaucoup d’électricité, ce qui a aussi largement affecté les conditions d’hygiène.”  

Ali, tout comme Azad, Laila et Morad, sont mes collègues syriens et syriennes. Ce sont eux, habituellement, qui viennent en aide aux personnes sans eau, électricité ou carburant. Mais aujourd’hui, ils et elles s’éclairent à la bougie, peinent à charger leurs téléphones, ne peuvent plus doucher leurs enfants avant de les envoyer à l’école, chauffent leur eau sur un feu dans le jardin, et n’ont pas assez d’électricité pour faire tourner leur machine à laver. Pour se chauffer, ceux qui ont encore des réserves de carburant les utilisent avec parcimonie. Ils craignent le moment ou ces réserves arriveront à sec. « J’ai fini ma bouteille de gaz il y a 5 jours, et j’ai passé 2 jours sans gaz avant de trouver une bouteille, que j’ai payée 25 dollars [23 euros]. Je n’avais pas le choix, alors je l’ai achetée.” Me dit Ali. Avec cette explosion du prix du gaz de cuisine, beaucoup se voient contraints d’utiliser des réchauds à pétrole, remplis de mélanges de combustibles bon marché, hautement inflammables et nocifs pour la santé.  

Le manque d’électricité affecte aussi les pompes à eau. Motaz fait partie de l’équipe chargée de l’accès à eau et a l’assainissement. C’est son propre accès à l’eau qui est désormais compromis. “Auparavant, les forages qui permettent de puiser l’eau fonctionnaient 12 heures par jour, aujourd’hui ils ne fonctionnent plus que pendant 2 heures. L’eau ne peut plus être utilisée que pour les besoins les plus élémentaires du foyer, à savoir boire, et cuisiner, au dépend des pratiques d’hygiène. Nous ne pouvons plus utiliser les machines à laver, car elles nécessitent beaucoup d’électricité, ce qui a aussi largement affecté les conditions d’hygiène.”  

Photo : © Juliette Pedram / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL 

La crise économique, maillon aggravant d’un cercle vicieux 

Tous gardent en tête les personnes qui ont un besoin vital de nos activités. “Malheureusement, l’impact sera plus important sur les personnes les plus vulnérables.” me dit Abud*, un collègue du département sécurité alimentaire et moyens de subsistance. “Pour te donner un exemple de notre travail quotidien, les bénéficiaires auxquels nous avons distribué des serres cultivent des légumes en hiver, et nous leur avons distribué pour cela des chauffages au diesel. Actuellement, ils ne peuvent pas obtenir le combustible nécessaire pour chauffer l’intérieur de la serre. Ce sont des personnes vulnérables, qui ne seront même pas en mesure d’en acheter pour chauffer leur maison, alors comment pourraient-ils en acheter pour la serre ? ”  

Dans un contexte déjà marqué par une grave crise économique, le risque d’une augmentation générale des prix inquiète aussi. Dans quelques semaines, nos équipes doivent distribuer de l’argent pour soutenir des familles. Mais que vaudra cet argent désormais ? “Aujourd’hui, avec la hausse des prix, il faudrait doubler cette somme, voire plus, pour que les gens puissent obtenir la même quantité de biens qu’auparavant.” affirme Abud.  

“J’aimerais te parler de l’impact émotionnel de ces journées” me raconte mon collègue Azad*, “mais je ne peux pas décrire ce que j’ai vu sur le visage des gens”. Après quatre jours de calme, les bureaux se remplissent de nouveau. C’est déjà jeudi, le dernier jour avant le weekend en Syrie. Un jeudi moins heureux que d’habitude. J’ai demandé à mes collègues quel impact avait eu cette escalade sur leur quotidien. J’avais en tête des besoins très pratiques. Pourtant tous ont commencé en me parlant de l’impact psychologique sur toute la population de la région, et particulièrement les enfants.  

C’était un retour au bureau bien trop calme. Pourtant, tout autour rien n’était calme.  

*Tous les prénoms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes.  

SOLIDARITÉS INTERNATIONAL continue de soutenir les populations fragilisées à travers des distributions d’eau, des kits d’hivernation pour faire face, notamment, aux coûts du chauffage, mais aussi des kits d’hygiène, ou encore de la réhabilitation d’abris. Cette poursuite de l’aide est essentielle mais limitée. L’impact sur l’accès à l’eau, le gaz, l’électricité et le carburant ne pourra être que partiellement couvert par des programmes d’aide déjà existants.  

Par ailleurs, les pénuries, si elles se poursuivent, pourraient affecter gravement nos activités dans la région.  

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