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Les lois antiterroristes exposent les ONG humanitaires à la paralysie

Publié le vendredi 17 janvier 2020

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L’action humanitaire, dont les ONG internationales sont à la fois des acteurs et des financeurs incontournables, voit aujourd’hui son déploiement entravé sur de nombreux théâtres de crise majeure.

Les atermoiements du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui ont restreint le nombre de canaux d’accès à la Syrie depuis les pays voisins, constituent l’illustration la plus récente d’une politisation de l’aide dont les mécanismes se cumulent. Ajoutées les unes aux autres, des décisions politiques récentes convergent pour fragiliser l’un des principes cardinaux de l’aide humanitaire, celui de la neutralité dont se prévalent les ONG afin de pouvoir conserver une capacité à agir au profit de populations civiles prises dans la tourmente de la violence.

Le nombre de personnes contraintes à des déplacements forcés rend compte de l’ampleur des conflits à l’échelle mondiale : 67 millions d’individus ont été poussés à l’exode en 2018. Parmi elles, 42 millions ont fui leur domicile en demeurant dans leur pays. 25 millions ont franchi des frontières pour se réfugier dans des pays tiers. Une très large proportion de ces réfugiés s’installe durablement dans des Etats voisins de ceux de leurs pays d’origine. La Syrie, mais aussi l’Afghanistan, le Yémen, le Bengladesh, le Nigéria, la Libye ou la Colombie traduisent, parmi d’autres conflits, de telles réalités.

Partout dans ces pays s’affrontent des belligérants composés des forces armées gouvernementales et des groupes rebelles, parfois multiples et rivaux entre eux. Les humanitaires, pour être en capacité d’agir et d’accéder aux populations dans le besoin, doivent pouvoir négocier, là ou c’est possible et nécessaire, avec toutes les parties au conflit afin d’acheminer l’aide, mais aussi pour essayer de garantir, autant que faire se peut, la sécurité des équipes qui interviennent.

Depuis les années 2000, et la montée en puissance d’alliances internationales structurées pour combattre la violence perpétrée par des mouvements radicaux, un certain nombre de mesures ont été prises par les gouvernements pour empêcher l’émergence et le déploiement de groupes terroristes. Ces mesures sont désignées du nom de COTER, contraction de la formulation en anglais de « counter terrorism ».

Ainsi, tous les financements octroyés aux ONG par les Etats donateurs (qui apportent ¾ des 24 milliards d’euros de l’aide internationale annuelle consacrée aux crises humanitaires), entrent-ils dans l’obligation d’un respect drastique des logiques du COTER. Ce sont en premier lieu les Etats unis d’Amérique, et les pays de l’Union européenne qui contribuent pour une large proportion aux financements gouvernementaux.

Les ONG récipiendaires de ces fonds gouvernementaux se voient dès lors interdire tout contact avec une partie des belligérants, identifiés par ces mêmes Etats donateurs comme figurant sur la liste des groupes désignés comme terroristes par la « communauté internationale ». Cette interdiction pouvant par ailleurs émaner des gouvernements de pays confrontés à une guerre civile. En miroir, l’incapacité à agir peut découler de la non-reconnaissance, par des groupes combattants, des principes de neutralité, d’indépendance et d’impartialité qui structurent les positionnements des acteurs humanitaires. L’extension des lois anti-terroristes aux acteurs de l’aide contribue à renforcer la suspicion des groupes rebelles. Elle permet de servir d’argument fallacieux à ceux d’entre eux qui s’opposent aux interventions des ONG internationales pour contrôler l’accès aux populations civiles et maintenir le huis clos.

C’est pourquoi nous, dirigeants d’ONG signataires du présent texte, considérons qu’il y a dans l’application de ces lois anti-terroristes à l’égard de nos organisations, un positionnement inacceptable de la part des pays donateurs, car totalement inadapté à notre mandat. Les pays financeurs revendiquent et surveillent étroitement l’application des lois sécuritaires sans discernement, quitte à menacer d’interrompre le soutien financier octroyé à une organisation qui dérogerait à de tels oukases. Il n’est pas ici question de remettre en cause la légitimité de mesures prises pour endiguer le terrorisme, mais d’éviter, par contiguïté avec nos missions, toute forme de criminalisation de l’acte humanitaire. Cette logique des financeurs constitue une atteinte majeure à notre principe de neutralité. Notre capacité à pouvoir établir le contact et à négocier avec tous les belligérants est pour nous une impérative nécessité.

Remettre en cause cette posture, c’est s’affranchir de l’esprit fondateur du Droit International Humanitaire (DIH), dont Henry Dunant a été l’un des inspirateurs contemporains ; c’est afficher sans complexe la subordination de l’acte humanitaire à la volonté politique des pays donateurs. C’est dire haut et clair que ceux « qui paient décident ». C’est mettre en danger nos équipes, et c’est ainsi et surtout, à terme, nous exposer à la paralysie dans notre capacité à fournir une aide parfois vitale.

Pour toutes ces raisons, nous demandons que les ONG Internationales intervenant en zones de conflits fassent l’objet de mesures d’exemption dans l’application des lois anti-terroristes, afin de permettre le déploiement optimum de nos actions.

 

*Collectif de dirigeants d’ONG Internationales françaises

Action Contre la Faim (ACF), Pierre Micheletti, Président

Alima, Richard Kojan, Président

Care France, Philippe Lévêque, Directeur général

Coordination Sud, Philippe Jahshan, Président

Handicap International (HI), Manuel Patrouillard, Directeur général

Médecins du Monde (MDM), Philippe De Botton, Président

Première Urgence Internationale (PUI), Vincent Basquin, Président

Secours Islamique France (SIF), Rachid Lahlou, Président

Solidarités International, Antoine Peigney, Président

Triangle Génération Humanitaire (TGH), Christian Lombard et Patrick Verbruggen,

Directeurs/fondateurs