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Ukraine : survivre à la guerre et à l’hiver à Odesa et Kherson

Publié le vendredi 24 février 2023

Répondre à l’urgence après les bombardements 

À deux heures à l’est de Mykolaïv, une route peu fréquentée mène à Lioubomyrivka, un village à proximité de l’Oblast de Kherson. Si les températures sont, ce jour-là, plutôt clémentes, la saison est humide et rude, et la boue, omniprésente. Sur la route, des maisons aux toits arrachés et aux fenêtres éventrées témoignent de la réalité d’une guerre d’artillerie de haute intensité.  

La matinée est déjà bien avancée et les villageois sont réunis devant la Maison de la Culture : une distribution de bois de chauffe est organisée par SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. Les habitants s’affairent activement autour du site de distribution : des tas de bois sont organisés par foyer et les villageois chargent des remorques tandis que des Lada colorées et des tracteurs font des allées et venues pour transporter les cargaisons.  

Nadjia, 62 ans, supervise la distribution. Elle est la “Starosta”, l’autorité locale en charge de trois villages : Lioubomyrivka, Yakovlivka et Vyeseli Kut. Contrairement à Snihourivka, localité stratégique située à environ 15 kilomètres, les trois villages n’ont jamais été sous contrôle russe.  

Ils ont cependant été durement affectés par les hostilités, entre mars et novembre 2022, du fait de leur proximité avec la ligne de front, à moins de 10 km. “Il n’y avait pas d’électricité. Aucun magasin n’était ouvert. Pas d’eau – les puits de forage ne fonctionnaient pas.” raconte Nadjia.

  • 37 millions d'habitants en en 2023
  • 77ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
  • 501 843 personnes secourues depuis mars 2022

“Quelqu’un a réussi à acheter un générateur. Alors d’autres villageois lui rendaient visite pour recharger leurs téléphones. Ce n’est pas de trois mois dont nous parlons – c’était huit mois… C’est le genre de vie que nous avons eu jusqu’au 15 décembre, date à laquelle nous avons été reconnectés à l’électricité. Mai et juillet ont été les mois plus difficiles, avec des bombardements intenses. Toutes les habitations ont été plus ou moins endommagées”, continue-t-elle. 

 Des dizaines de maison détruites 

Valentina, un foulard sur la tête, et le sourire réservé, refuse les gros plans, mais tient à raconter son histoire et nous montrer sa maison qui a été partiellement détruite par l’impact d’un missile en août. Valentina et son mari étaient alors à l’abri dans un sous-sol voisin. Dans une partie de la maison, l’impact est tel que deux des pièces ne sont qu’un amoncellement de décombres. Son mari a entrepris de commencer des travaux, mais il est tombé et s’est blessé à la hanche. La maison reste inhabitable en l’état actuel.  

Pour d’autres, les dommages sont plus légers et ont permis un retour au domicile. C’est le cas pour Tania, 78 ans. Les fenêtres de sa maison ont été endommagées par les bombardements, l’obligeant à trouver refuge chez des proches à Bereznuhavete. Elle vient d’acheter des panneaux de bois, qu’elle compte installer rapidement. Tania, probablement en raison de son retour très récent, n’est pas sur la liste des personnes bénéficiaires de la distribution de bois de chauffe, mais assure que les habitants partageront leur bois avec elle, en attendant la prochaine distribution. “Je suis née ici, j’ai passé toute ma vie ici. Pendant des mois, j’ai fait des allers et retours entre Lioubomyrivka et Bereznuhavete, mais ça y est, cette fois-ci, je suis de retour pour de bon”, affirme-t-elle.  

Activités agricoles compromises 

Au plus fort des hostilités, seules 60 personnes sur 600 sont restées à Lioubomyrivka. Victor, Leonid et Volodymir font partie de ces villageois qui n’ont jamais quitté les lieux.   »A mon âge, je ne peux pas aller quelque part pour recommencer à zéro. Et la santé n’est pas la meilleure », raconte Victor, 57 ans. Les traits creusés et les mains abimées par les travaux agricoles, les trois hommes discutent autour d’un stock de bois. Ils sont tous les trois fermiers. « Que faire d’autre ici, à part travailler la terre ? Tout le monde vit de la terre, il n’y a pas d’autre travail », explique Volodymir. Il exprime une certaine amertume face aux producteurs de viande qui ont tiré avantage de la guerre et acheté leur bétail pour des sommes dérisoires :   »On a vendu nos vaches pour quasiment rien ».  

Malgré l’éloignement de la ligne de front, qui se situe maintenant au niveau du Dniepr, à quelques dizaines de kilomètres, les activités agricoles sont compromises, les terres étant devenues inexploitables en raison de la présence de mines et de munitions non explosées.  »On va dans les champs à nos risques et périls. On y va en voiture et si on voit quelque chose de suspect sur la route, on le contourne et on continue » raconte Victor.  

Le défi que représente la présence des mines et munitions non explosées sur les terres est majeur, confirme Nadjia :

« La plus grande difficulté pour les villageois est que la terre n’a pas du tout été nettoyée des mines. Les gens ne peuvent pas cultiver le sol. Or, il faut semer et faire pousser quelque chose l’année suivante pour avoir de la nourriture ».  

Cette situation prive les habitants de sources de revenus et les rend dépendants de l’aide humanitaire. Parmi les acteurs présents dans la région de Mykolaïv, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL est opérationnelle dans la région depuis les premiers mois de la guerre :  

« Les besoins humanitaires sont énormes, que ce soit dans les zones directement touchées par les bombardements et les hostilités ou les zones nouvellement accessibles, qui ont été durement impactées par la guerre. SOLIDARITÉS INTERNATIONAL continue à répondre aux besoins en termes d’accès à l’eau potable, que ce soit à Mykolaïv, depuis mai 2022, et plus récemment dans les zones nouvellement accessibles de Kherson. Dans ces villages qui étaient proches de la ligne de front, la situation reste difficile et, avec l’hiver, les besoins humanitaires sont encore plus importants. Le retour de la population y est encore limité, mais certains commencent à revenir et à reconstruire leur maison. L’ONG distribue bois de chauffe et kits d’abris d’urgence pour répondre aux besoins les plus immédiats de la population » explique Anne-Sophie Morel, coordinatrice terrain de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL pour les régions dOdesa, Mykolaïv et Kherson.  

Aujourd’hui, malgré quelques retours, Lioubomyrivka, ne comptabilise que 176 habitants, sur une population initiale de 600 personnes. Le reste de la population compte parmi les 5 914 000 déplacés internes en Ukraine, selon les chiffres fournis par l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), le 5 décembre 2022. Les régions de Mykolaïv et Odesa accueillent chacune entre 110 000 et 140 000 personnes déplacées internes, générant des besoins humanitaires importants.  

 Faire face à la précarité des personnes déplacées 

A l’entrepôt de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL à Odesa, une équipe prépare des kits d’hygiène, tandis que d’autres membres de l’équipe placent des autocollants aux couleurs de l’ONG et de l’Union Européenne sur 75 colis alimentaires qui seront ensuite chargés et distribués l’après-midi même à des personnes déplacées. En 2022, le financement de la Commission Européenne (ECHO) a permis de fournir une assistance matérielle (kits d’hygiène, colis alimentaires et autres produits non alimentaires) à près de 4 000 personnes déplacées et vulnérables dans l’Oblast d’Odesa.  

Sur le site de distribution, un groupe de personnes déplacées attend patiemment de pouvoir s’enregistrer avant de recevoir un colis alimentaire. Parmi eux, beaucoup de personnes récemment arrivées de Kherson. Suite à la reprise de Kherson par les Ukrainiens le 11 novembre 2022, la ville a fait l’objet de bombardements intenses et de tirs d’artillerie qui se poursuivent encore aujourd’hui poussant une partie de la population à évacuer les lieux.  

C’est notamment le cas de Tetiana, qui nous accueille dans son logement à Odesa, un petit deux pièces au décor fleuri. Elle est arrivée de Kherson avec son fils le 3 décembre 2022. Entre l’aide humanitaire qu’elle reçoit et le soutien de sa famille, elle parvient à répondre aux besoins les plus urgents. Elle espère trouver du travail, mais s’inquiète de laisser son fils de 10 ans seul à la maison : Je trouverais certainement du travail, peut-être que ça ne paiera pas beaucoup, mais je ne veux pas être trop loin. S‘il y a une alerte ou un black-out, je serais morte d’inquiétude.”, explique-t-elle. C’est très dur psychologiquement. Tu es ici mais toute ta vie est restée -bas

Lioubov, 72 ans, elle, est également arrivée récemment de Kherson. Dans le petit appartement qu’elle loue en périphérie d’Odesa, elle évoque avec nostalgie sa vie à Kherson, et sa datcha fleurie sur une île du Dniepr, maintenant sous contrôle russe.  “La vie était belle”, répète-t-elle. L’intensification des bombardements dans le quartier Ostriv de Kherson, où elle vivait avec son mari, l’a décidée à quitter Kherson, avec leur chat Mars. Son mari, Vladimir, 80 ans, vient tout juste de la rejoindre. Leur fille, qui vit en Espagne, les aide, car sa pension de retraite de 3000 UAH (environ 74€) ne lui permet même pas de payer son logement, dont le loyer s’élève à 6000 UAH (environ 148€). Pour elle aussi, l’aide humanitaire de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL est nécessaire. 

Une assistance financière pour supporter survivre à l’hiver 

Au-delà de l’assistance alimentaire et en produits d’hygiène, l’hiver génère des besoins spécifiques. Une collecte de données organisée par SOLIDARITÉS INTERNATIONAL en décembre 2022 a montré que les besoins principaux à ce moment de l’année concernaient les moyens de chauffage, en particulier le bois et le fuel (50% des réponses), les vêtements chauds et les chaussures (48% des réponses), les médicaments (32% des réponses) et la nourriture (29%).  

“La majorité des personnes déplacées internes présentes au sein de l’Oblast d’Odesa est arrivée lors des trois premiers mois de la guerre. Ils avaient grand espoir de rentrer chez eux au plus vite, il leur était donc très difficile de se projeter pour la saison à venir et d’anticiper leurs besoins, notamment pour la saison hivernale. Ainsi, les vulnérabilités ont fortement augmenté à l’approche de l’hiver, détériorant les conditions de vie des personnes déplacées, explique Maeva Hegoburu, chargée de projet Besoins de base pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL dans l’Oblast d’Odesa.

“Face à l’hiver, les besoins sont multiples et diffèrent en fonction de la situation de chaque famille. L’instabilité sécuritaire et les difficultés d’accès au marché au sein de l’Oblast sont tels qu’une assistance monétaire est privilégiée dans des villes, permettant aux personnes affectées de répondre librement à leurs besoins prioritaires pour surmonter l’hiver, ajoute-t-elle.  

La première étape avant de recevoir une assistance monétaire, est d’identifier les personnes bénéficiaires potentielles et leurs besoins. Une équipe de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL est chargée d’appeler ces personnes, déplacées et vulnérables, sur la base de listes fournies par les autorités locales. A l’appui d’un questionnaire, ils identifient les besoins des personnes concernées. La discussion déborde souvent : “ Il y a beaucoup d’histoires difficiles, beaucoup de gens dans des situations très dures. On leur pose des questions sur leurs besoins et ils racontent tout, s’ils ont perdu un proche, s’ils ont traversé des situations difficiles. Nous les écoutons, même si parfois ça ne répond pas à nos questions, raconte Oleksandr Kotolevych, un des employés, lui-même déplacé de Donetsk. Sur 100 appels passés en une journée, parfois seuls 20 aboutiront : “avec les coupures d’électricité, les gens n’ont pas toujours de réseau, et deviennent injoignables”, explique Vladislav Perepeliuk, un autre employé de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, lui aussi déplacé, récemment arrivé de Kherson avec sa famille. Cette situation isole encore davantage les personnes et accroît leur vulnérabilité.  

Cet hiver, l’assistance monétaire fournie par SOLIDARITÉS INTERNATIONAL dans l’Oblast d’Odesa va cibler 1 200 personnes. Avec des températures devenues négatives, l’arrivée de la neige et les frappes régulières sur les infrastructures énergétiques, la réponse aux besoins humanitaires des personnes déplacées reste essentielle malgré le défi quotidien qu’elle représente.  

Avec le soutien de l’Union européenne

© Myriam Renaud / Hans Lucas

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