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Séismes en Syrie : se préparer à demain

Publié le mardi 14 mars 2023

Plus d’un mois après la catastrophe, l’heure est au bilan. Si des actions de première urgence sont toujours en cours, nos équipes se projettent déjà sur le plus long terme. Thomas Janny, responsable géographique pour la région Moyen-Orient pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, fait le point sur l’aide apportée jusqu’ici, les risques d’épidémie et les défis à venir.  

Combien de personnes sont décédées suite aux tremblements de terre qui ont touché la Turquie et la Syrie ? 

D’après les derniers chiffres, on a dépassé les 50 000 morts enregistrés dans les deux pays. Le bilan est plus élevé en Turquie où près de 44 000 personnes auraient perdu la vie alors que 6000 personnes ont péri en Syrie. Selon les autorités locales syriennes, ce chiffre devrait se stabiliser. La majorité des personnes disparues et ensevelies sous les décombres ont pu être retrouvées et identifiées.   

Selon les dernières informations communiquées, les décombres ont commencé à être retirés. Où en est-on au niveau des dégâts matériels ?   

Le difficile accès à la Syrie a limité l’aide internationale pour les opérations de recherche et de secours. Une structure locale s’est démenée pour tenter de retrouver des personnes coincées sous les décombres. Elle a pu bénéficier de l’aide de la population qui est venue soutenir les efforts. Cette phase de recherche est maintenant terminée. Toutes les infrastructures ne sont pas tombées suite aux séismes mais les dégâts matériels restent très importants. Beaucoup de personnes se retrouvent aujourd’hui sans abris et les moyens nécessaires pour déblayer la zone sont très limités alors que les besoins sont considérables.  

Quelles sont les types d’infrastructures qui ont été le plus touchées par les séismes ?   

Dans le Nord-Ouest de la Syrie, les tremblements de terre n’ont épargné personne. Les zones rurales, semi-rurales, périurbaines et urbaines ont toutes été affectées. Evidemment, ce sont dans les zones urbaines où il y a une concentration plus importante de buildings et d’infrastructures élevés que les dégâts ont été les plus considérables. 

  • 23,2 millions d'habitants
  • 150ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
  • 693 917 personnes bénéficiaires

Cela étant dit, la précarité des bâtiments, la quasi-absence de cadre légal clair et le non-respect des normes de construction ont eu pour effet que même des habitations de pleins pieds se sont effondrées. Avant les séismes, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL concentrait l’essentiel de ses actions dans les camps de personnes déplacées internes vivant dans des habitats de fortune comme des tentes, des constructions bricolées. De manière globale, ces abris ont été moins affectés par les tremblements de terre. Pour l’heure, on ne dispose pas de chiffres clairs et précis sur le nombre d’infrastructures détruites mais des évaluations de terrain sont en cours.  

Au vu des lourds dégâts sur place, autant matériels qu’humains, quelle a été la première stratégie de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL en Syrie ?   

Nous intervenons en Syrie avec une capacité de mise en œuvre directe depuis 10 ans. Nous avons des équipes présentes sur la zone. Cette expérience acquise sur le terrain nous a permis d’être réactifs et de développer rapidement une réponse d’urgence. Un séisme c’est soudain, ça a un impact massif, ça traumatise les populations et ça bouleverse le monde entier. Les premiers jours suivant la catastrophe sont très importants afin de subvenir aux immenses nouveaux besoins qui viennent s’ajouter à ceux préexistants de populations déjà très vulnérables. Pour cette raison, nous avons concentré nos efforts autour de la mobilisation de moyens et de matériels déjà disponibles. Nos équipes sur place ont été d’une grande aide pour répondre aux besoins prioritaires des populations, à savoir se nourrir, boire et s’abriter. Dans les 48 heures qui ont suivi les premières secousses, nos équipes ont effectué les premières distributions de kits d’hygiène et de kits pour les nouveaux arrivants, qui comprennent tout le nécessaire de base pour s’installer dans une tente, être capable de manger et de se laver. La question de l’accès à la nourriture s’est rapidement posée. De nombreux habitants ont perdu leurs maisons et des commerçants ont vu leurs boutiques rasées par la catastrophe. Nous avons donc distribué des kits de nourriture composés d’aliments déjà préparés. Concernant l’accès à l’eau potable, nous avons déployé très rapidement des camions-citernes pour acheminer de l’eau auprès des populations sinistrées.  

Quelle est la stratégie de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL à moyen et long terme ? 

Il est important de comprendre que ces tremblements de terre ont frappé des populations déjà en partie dépendantes de l’aide humanitaire. Cette catastrophe pose néanmoins de nouveaux défis. Au-delà des actions immédiates que nous avons menées et qui vont continuer, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL évalue les besoins en termes de réhabilitation et de réparation des systèmes d’approvisionnement en eau. Nous allons également lancer des activités de transfert monétaire pour permettre de relancer l’activité économique et aider les populations. 

Ainsi, en parallèle de cette première réponse d’urgence, nous avons déjà commencé à réfléchir et préparer les actions que nous allons mettre en œuvre à plus ou moins long terme.  Cet exercice est un défi car il nous faut être capables de planifier tout en restant flexibles et nous adapter en permanence en fonction de l’évolution du contexte (le Nord-Ouest syrien est une zone de guerre), des besoins des populations et des interventions d’autres acteurs internationaux ou locaux. Une de nos principales difficultés, c’est l’accès très complexe à la zone. Nous travaillons de manière transfrontalière en accédant par la Turquie. Notre capacité d’envoyer de l’expertise est donc limitée. Néanmoins, on peut compter sur l’appui des membres de notre équipe sur place, qui sont majoritairement des locaux. De plus, même si nous nous imaginons bien quels sont les besoins actuels et futurs des populations, nous devons les confirmer en s’appuyant sur des évaluations de terrain. Pour cela, il est nécessaire d’aller à la rencontre des populations affectées pour connaître leurs besoins prioritaires, de consulter les autorités locales et d’échanger avec les autres ONG présentes. Pour travailler avec intelligence et éviter de porter préjudice aux populations, il est nécessaire de prendre en compte tous ces acteurs et ces facteurs. Il faut s’assurer de la pertinence, de la faisabilité et de la complémentarité des actions que SOLIDARITÉS INTERNATIONAL mettra en œuvre. 

Avec le manque d’accès à des toilettes fonctionnelles, de points d’eau potable, on comprend que les conditions d’hygiène dans les pays touchés sont déplorables. Quel lien peut-on faire entre le manque d’accès à l’eau et le risque des épidémies ?   

Pour schématiser, le manque d’accès à une quantité suffisante d’eau de bonne qualité mais aussi à des toilettes propres augmente le risque d’épidémie car les maladies diarrhéiques, comme le choléra, se propagent par voie humaine à travers les bactéries évacuées dans les selles des personnes. C’est ce qu’on appelle une transmission oro-fécale.  

Cette bactérie vient contaminer l’eau, les aliments, l’environnement direct, et par ce biais infecte de nouvelles personnes lorsqu’elle est ingérée (eau, aliments, mains sales, etc.). Il est donc nécessaire d’avoir accès à des toilettes et de l’eau de bonne qualité pour boire, se laver les mains, laver les aliments qu’on consomme et les ustensiles qu’on utilise. Tous ces petits gestes sont essentiels pour casser le cycle de contamination et la chaîne de propagation d’une maladie. Le manque d’accès à de l’eau potable, à des conditions sanitaires décentes, à des infrastructures et des services de base essentiels, sont donc autant de facteurs qui favorisent une explosion épidémique.  

Les tremblements de terre ne risquent-t-ils pas de favoriser une nouvelle augmentation des cas de choléra, réapparu dans le pays ?    

Les lourds dégâts sur les infrastructures d’approvisionnement en eau et sanitaires causés par les séismes génèrent donc une réelle inquiétude et c’est pour cela que nous en parlons dans les médias. L’épidémie de choléra en Syrie a commencé en septembre 2022. Selon les derniers chiffres, depuis le début de l’épidémie, 50 000 cas suspects ont été atteints. L’épidémie a flambé en fin d’année puis ralentie mais depuis les tremblements de terre, on observe une remontée sensible des cas.  Cela reste des données épidémiologiques. Aujourd’hui, il est difficile de prouver qu’il existe un lien direct entre les séismes et cette hausse. Il faut donc rester prudent et éviter les conclusions hâtives qu’elles soient rassurantes ou alarmistes. Nous savons cependant qu’il y a dans le Nord-Ouest syrien un manque de moyens pour assurer un suivi épidémiologique dans la région et que les conditions pour une reprise épidémique sont réunies. Notre responsabilité est donc d’alerter sur ce risque et de mener les actions de prévention qui permettront de le limiter.  

Que faites-vous pour sensibiliser la population au risque de maladies et de propagation des épidémies ?   

Donner accès à l’eau potable et à des infrastructures sanitaires aux personnes affectées par les tremblements de terre est essentiel mais pas suffisant, il faut aller plus loin. Nous organisons donc des sessions de promotion à l’hygiène, durant lesquelles nous expliquons aux populations comment utiliser correctement les infrastructures de stockage et d’utilisation de l’eau, pourquoi il est important et nécessaire de respecter certaines règles sanitaires. Se laver les mains à des moments clés de la journée (avant de manger, après être allé aux toilettes, après manger), utiliser des latrines et ne pas déféquer à l’air libre, etc. sont autant de comportements hygiéniques à adopter pour réduire le risque de propagation de nombreuses maladies et épidémies. 

© Mohamed Yahya

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