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Deux ans de guerre en Ukraine : retour sur l’arrivée de l’équipe de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL dans un pays en flammes

Publié le lundi 19 février 2024

Le 24 février 2022, Vladimir Poutine fait une annonce à la télévision russe : « J’ai pris la décision d’une opération militaire spéciale ». L’offensive contre l’Ukraine est lancée. Deux ans plus tard, plus de 30 000 victimes civiles sont déplorées, 3,7 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays, et 17,6 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire.
En ce triste anniversaire, Philippe Bonnet, directeur des urgences chez SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, se souvient de la mise en place du travail de l’ONG en Ukraine et témoigne de son arrivée dans le pays. Traversée hallucinatoire d’un pays sous le choc de l’agression qui débute. 

« Je traverse la frontière polonaise pour arriver à Lviv le 28 février avec Vianney, le logisticien de l’équipe d’urgence. Kiev est en train de se vider. Les gens fuient vers la Pologne. Il y a des flux continuels de voitures entre Kiev et la frontière avec des embouteillages terribles. 20 km de voitures font la queue, parfois abandonnées par les gens qui ont finalement passé la frontière à pied. La ville est assaillie par des dizaines de milliers de déplacés qui débarquent à la gare (70 000 par jour selon les autorités) où tout un balai de volontaires ukrainiens avec des bus et des camions les aide à aller vers la frontière polonaise ou les hébergent dans des centres.
À l’époque, tout le monde pense que c’est fini, que les Russes arrivent et qu’il faut quitter l’Ukraine. Toutes les ONG s’emploient à évacuer leurs salariés. J’appelle une collègue d’une autre ONG pour demander des informations sur la meilleure façon de traverser le pays. Elle me dit : « Mais tu es fou, pourquoi tu rentres ? ». L’environnement est très militarisé, avec des checkpoints et des sacs de sable à tous les croisements de rues, des gens en armes, même des civils armés. C’est l’hiver. Les paysages ukrainiens, tout est en noir et blanc. Vraiment une atmosphère apocalyptique. 

Dès les premiers jours, nous contactons un prestataire local, un entrepreneur social qui héberge des femmes battues et leur donne un travail. Il a une activité de restauration collective, alors nous le finançons pour fournir des repas chauds et des boissons à toutes les familles qui fuient les zones de combat et arrivent sur le parvis de la gare de Lviv.  
L’Ukraine interdit très rapidement aux hommes de quitter le pays. Beaucoup de familles décident donc de ne pas se séparer et renoncent à quitter l’Ukraine. Elles sont hébergées dans des stades, des centres collectifs, des écoles… Nous aidons ces centres à les héberger. »

  • 37 millions d'habitants en en 2023
  • 77ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
  • 501 843 personnes secourues depuis mars 2022

Photo : © SOLIDARITÉS INTERNATIONAL

Être présents sur la route des personnes déplacées  

Après quelques jours, notre analyse de la situation s’affine, et on se dit qu’on va repartir plus à l’Est. La route est complètement vide, et les voies en face sont pleines de gens qui fuient. Nous allons jusqu’à Ouman, une ville au centre du pays. C’est lugubre. Le soir, il y a le black-out, c’est-à-dire l’interdiction d’allumer les lumières pour ne pas signaler les villes à l’aviation russe. Tout est noir. Des militaires passent dans la rue pour sermonner les gens qui laissent la lumière allumée ou ne ferment pas les rideaux. Il fait 15 degrés en dessous de zéro, la Mairie se barricade avec des sacs de sable, des mitrailleuses et se transforme en bunker. Les gens fabriquent des cocktails molotov en vidant des bouteilles d’alcool. 
Nous rencontrons une femme très singulière, Galina, dont l’évocation du nom permet de passer tous les check points. Elle gère les centres collectifs où les personnes qui fuient s’arrêtent, parfois juste pour une nuit, avant de continuer leur route. Des gens de Mariupol et d’autres zones ou les combats font rage, arrivent avec des voitures criblées de balles, des enfants, parfois des blessés. Le centre social les aiguille. Comme à Lviv, on finance, via la cantine de la mairie, l’achat de nourriture et les coûts de production de repas chauds. Les personnes arrivent le soir, elles reçoivent un repas chaud, et repartent le lendemain avec un petit snack et une bouteille d’eau pour continuer leur trajet. À ce moment-là, nous sommes encore la seule ONG internationale sur place. Notre présence redonne espoir aux gens, ils voient qu’ils ne sont pas abandonnés.  

Photo : © Michael Bunel

Au plus proche de la ligne de front 

Mi-mars, notre fixeur refuse d’aller plus loin car il a peur. Il retourne à Lviv pour aider les renforts qui y ont pris notre relais. Nous rencontrons un homme, qui travaille encore avec nous, et qui accepte de nous emmener à Odessa et Mikolaiv une ville à l’époque complétement encerclée par les Russes. Évidemment il n’y a plus rien dans la ville. Avec une petite association religieuse locale, nous y envoyons des kits de nourriture. 

Nous faisons une petite opération depuis Odessa à Berdiansk, une ville déjà occupée par l’armée russe. Nous réussissons à envoyer 14 tonnes de nourriture dans cette ville, avec un réseau de passeurs, qui arrivent à franchir la ligne de front. Nous allons ensuite à Dnipro, puis nous commençons à travailler sur la ligne de front à l’Est, qui devient la priorité de l’équipe d’urgence, pendant que la mission se structure sur les autres zones. Des premières interventions sont lancées à Pokrovsk pour doter les abris anti-aériens de stocks d’eau de nourriture et de biens essentiels.  Des activités similaires sont réalisées à Kramatorsk ou encore à Nikopol.
Sur les lignes de front, on a une représentation plus importante de personnes âgées qui ne veulent pas se déplacer, qui préfèrent mourir dans la cave de leur maison bombardée plutôt que de se retrouver dans un centre collectif ailleurs.  

Début avril, nous faisons nos premières opérations à Kharkiv, qui est quasiment encerclée par l’armée russe, avec juste une ligne qui permet d’arriver à l’ouest de la ville. Les habitants qui n’ont pas fuient vivent dans le métro pour se protéger des bombardements et nous commençons à y faire des opérations.  On arrive avec nos convois de camions, on se gare devant les bouches de métro. On vide les camions dans le métro, on court.  Dans le métro, sur les quais, il y a des centaines de familles avec des sacs de couchages et des matelas, les objets de valeur qu’ils ont pu amener avec eux, qui vivent là. En surface l’artillerie tonne. On leur amène de l’eau, on réhabilite des systèmes de filtration d’eau, mais on donne aussi des Monopoly ou autres jeux aux enfants, et des kits d’hygiène. Avec un homme qui s’appelle Sacha et qui gère un réseau de volontaires qui distribuent des repas aux gens encore dans la ville, on utilise les réseaux souterrains du métro pour aller vers les différentes populations. On apporte des biens essentiels aux gens qui ne sont pas allés dans le métro, des personnes âgées restées chez elles ou dans les caves des immeubles. C’est extrêmement dangereux car Kharkiv est alors bombardée régulièrement. Deux ans plus tard, il y a toujours des incidents à Kharkiv, mais à l’époque, les Russes ont encore l’ambition de prendre la ville, leur artillerie fait des ravages parmi les civils.  

Petit à petit le paysage change, la campagne reverdit. À Kharkiv le métro se vide. Des déplacés et des réfugiés reviennent même chez eux alors que tout le monde comprend que l’Ukraine résiste, et qu’il va falloir inscrire nos actions dans la durée. Des partenariats forts se tissent avec une société civile Ukrainienne qui s’organise. La mission se structure, l’organisation s’améliore, et nous recrutons de plus en plus de collègues ukrainiens. La phase d’urgence se termine et devra laisser la place à d’autres types d’activités. Quelques mois plus tard en septembre, nous commençons même à soutenir les familles qui reviennent dans les zones reprises par l’armée ukrainienne, au sud-est de Kharkiv, et en fin d’année dans la zone de Kherson. 

2024 : une mission adaptée aux besoins des Ukrainiens et Ukrainiennes

En février 2024, la nature de la mission de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL en Ukraine a évolué. Avec la baisse du nombre de personnes en transit, les bases de Lviv et d’Ouman ont été fermées et la stratégie a été réorientée vers une assistance accrue aux villages proches des zones de conflit dans l’est et le sud du pays. SOLIDARITÉS INTERNATIONAL y soutient la réparation de maisons, assure l’accès à une eau potable ainsi qu’aux biens les plus nécessaires de la vie du foyer. Dans les zones qui étaient sous occupation russe et qui ne le sont plus, les équipes soutiennent les autorités locales dans la fourniture de services publics, notamment l’eau. C’est la condition d’un retour digne des populations qui sont encore 10 millions à ne pas être encore rentrées chez elles.    

Dans les zones régulièrement touchées par les bombardements de l’est du pays où opère SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, la température descend à moins 30 degrés en hiver. L’Ukraine a la particularité, liée à son passé soviétique, de compter un système de chauffage collectif spécifique – d’énormes centrales de chauffage – qui est une des cibles privilégiées des Russes pour saper le moral de la population. Dans ces conditions, une canalisation coupée ou la destruction d’une centrale suffit à priver tout un quartier d’eau chaude et de chauffage.  Les activités liées à l’abri des populations pendant l’hiver prennent donc un tour crucial. SOLIDARITÉS INTERNATIONAL distribue ainsi à plusieurs milliers de ménages, à raison d’une tonne par foyer, des briquettes de résidu de tournesol destinées à être brûlées comme bois de chauffe. En parallèle, des actions de réparation des maisons sont réalisées, et l’ONG distribue de l’argent de façon à couvrir les besoins en couverture et en manteaux.  

Après deux ans de guerre, les Ukrainiens et les Ukrainiennes ont développé des compétences spécifiques. Ils reconnaissent les sons d’un départ ou d’une arrivée d’artillerie, évaluent la distance, le danger, et la conduite appropriée. S’adapter a été une obligation pour ces personnes qui n’ont souvent nulle part où aller. La population a fait preuve d’une résilience importante et s’est résignée. Pour autant, la violence des combats reste inchangée, comme à Avdiivka, ville martyre devenue l’épicentre des assauts russes aujourd’hui, et l’avenir reste très incertain.  

Photo : © SOLIDARITÉS INTERNATIONAL

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