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L’accès aux toilettes : une urgence sanitaire

Publié le lundi 16 avril 2018

Pour 38 % des habitants de la planète, trouver un endroit où faire ses besoins est une lutte de tous les jours. Une situation lourde de conséquences sur la santé et l’évolution sociale des populations.
Par Anne Guion, journaliste à La Vie. 

C’est l’une des scènes les plus connues de Slumdog Millionaire, le film de Danny Boyle (2008) qui raconte l’ascension d’un enfant des bidonvilles de Bombay. Lorsque le petit Jamal se retrouve enfermé dans une latrine sur pilotis, perchée sur une mer d’excréments, alors même qu’un acteur de films de Bollywood vient d’atterrir non loin de là, il n’hésite pas à sauter par le trou pour rejoindre son idole. La séquence pourrait prêter à rire si celle-ci n’était pas aussi réaliste. L’Inde est l’un des pays où l’accès à l’assainissement est le plus déficient : 560 millions d’Indiens sont obligés de déféquer dans la nature, faute de toilettes.

La problématique dépasse le cadre des bidonvilles de Bombay. Sur le plan mondial, 2,4 milliards d’êtres humains n’ont pas accès à des toilettes dignes, soit environ 38 % de la population ! Principales zones concernées : les campagnes des pays en développement. Mais la situation est plus inquiétante encore dans les villes où se multiplient les quartiers informels.

On estime que 1 milliard de personnes vivent aujourd’hui dans ces zones d’habitats précaires ; elles seront sans doute 3  milliards en 2050.

“La ville est aujourd’hui le théâtre d’une course-poursuite permanente entre le développement des infrastructures et sa croissance physique. Or, cette compétition est en train d’être perdue par les pouvoirs publics ”

Gérard Payen, ancien conseiller pour l’eau et l’assainissement du secrétaire général des Nations unies. 

Dans ces quartiers défavorisés, trouver un endroit où faire ses besoins est une lutte de tous les jours. Beaucoup pratiquent la méthode des “toilettes volantes ” : les habitants utilisent des sacs plastiques qu’ils jettent ensuite sur les toits ou le plus loin possible de leurs habitations. Lorsque ceux-ci disposent de latrines, à l’image du petit Jamal de Slumdog Millionaire, leur contenu, évacué dans un trou ou une fosse septique, est rarement vidé par un service régulier d’évacuation. Et lorsque celui-ci est en fonction, seule une petite partie des matières fécales est retraitée. Le reste débouche dans les rivières, où l’on puise bien souvent l’eau pour la consommation de la population et du bétail.

Les conséquences sur la santé sont désastreuses. Chaque année, 314 000 enfants de moins de 5 ans meurent de maladies diarrhéiques liées à la consommation d’eau insalubre et aux mauvaises conditions d’hygiène.

toilettes RDC

UN SUJET LONGTEMPS TABOU À L’ONU

Offrir à ces populations des conditions de vie décentes, c’est tout l’enjeu des 17 Objectifs de développement durable (ODD) qui ont été votés à l’unanimité par 195 États en septembre 2015 à l’Onu et qui prévoient notamment, dans leur Objectif 6, un accès universel à l’assainissement d’ici à 2030. Un objectif très ambitieux. Trop, sans doute, tant l’assainissement est un domaine ignoré depuis longtemps. “Les pourvoyeurs d’aide consacrent en général 10 fois plus de ressources à l’eau qu’aux installations sanitaires. Dans les programmes “eau et assainissement”, ils omettent souvent de dégager les budgets pour l’éducation à l’hygiène, la promotion des toilettes ou la construction de systèmes d’évacuation des eaux et des excréments ”, s’indignait ainsi Maggie Black, spécialiste britannique des problématiques liées à l’eau dans un article paru en 2010 dans Le Monde diplomatique.

“C’est une question taboue, surtout dans l’enceinte majestueuse des Nations unies où aucun représentant de pays n’a envie de raconter ses problèmes de toilettes et d’eaux usées,

Gérard Payen

Résultat : avant 2015, il n’y a pas eu un seul texte de l’Onu sur les eaux usées. L’institution ne comptait d’ailleurs aucun expert sur le sujet.”

L’autre difficulté tient au fait que l’accès aux réseaux d’assainissement exige de passer par les pouvoirs publics, contrairement à d’autres services moins vitaux comme le téléphone portable. Ainsi, vous ne pouvez pas décider dans votre coin de raccorder votre maison au réseau d’assainissement existant. C’est d’autant plus difficile dans le cas des États souvent fragiles des pays en développement. Mais attention, ce n’est pas parce qu’un pays est pauvre qu’il est forcément déficient dans le domaine. Et vice versa. “Il s’agit vraiment d’une question de volonté politique, explique Gérard Payen. L’accès à l’eau et à l’assainissement est-il une priorité par rapport à la construction de routes ou d’hôpitaux (etc.) ?”

 

DES SOLUTIONS INNOVANTES À PROMOUVOIR

Le privé est appelé à la rescousse. La fondation Bill et Melinda Gates a lancé en 2011 un concours technologique intitulé “Réinventer les toilettes ”, pour tenter de mettre au point des sanitaires mieux adaptés au contexte des pays en développement. Des solutions innovantes ont déjà été expérimentées sur le plan local, comme le système Peepoo mis en place en 2009 dans un quartier du bidonville de Kibera à Nairobi, au Kenya, qui reprend la méthode des “toilettes volantes ” : soit un sac biodégradable qui, grâce à un procédé chimique, neutralise les agents pathogènes des excréments. Le sac et son contenu peuvent ensuite servir d’engrais.

Il y a urgence à agir car les conséquences indirectes sur le développement sont importantes. Les inégalités hommes-femmes sont aussi renforcées par les mauvaises conditions d’hygiène. Les fillettes quittent souvent l’école à la puberté, faute de trouver un endroit protégé où se changer quand elles ont leurs règles. Il s’agit surtout d’un combat politique pour la dignité des hommes.

C’est dans cet esprit que les ONG spécialisées ont longtemps lutté pour la reconnaissance du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement, finalement reconnu en 2010 par les Nations unies. Lorsqu’en 2014, le premier ministre indien Narendra Modi lance un programme “Inde propre” pour donner à chaque Indien des installations sanitaires décentes d’ici à 2019, il prend soin de citer Gandhi. C’est lors de son long séjour en Afrique du Sud (1893- 1915) que l’apôtre de la non-violence prit conscience que le manque d’hygiène des Indiens, nombreux dans le pays, les emprisonnait eux-mêmes dans leur condition d’“intouchables ” aux yeux de la minorité blanche. Il ira même jusqu’à affirmer bien plus tard, lors d’un meeting en Inde, que “l’assainissement est plus important que l’indépendance”. Une façon de dire qu’il ne peut y avoir de libération sans dignité humaine.

Merci aux rédactions du Monde et de La Vie pour le texte d’Anne Guion issu du hors-série L’Atlas de l’eau et des océans dont SOLIDARITÉS INTERNATIONAL est partenaire.

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Photos : Constance Decorde /SOLIDARITES INTERNATIONAL