Du bureau à la brousse
Sur le point de partir au Mali, Sabah raconte son parcours atypique. Comment une Assistante de Direction se retrouve à suivre le calendrier agricole en République démocratique du Congo ?
Curieuse vis-à-vis du monde et notamment des gens, Sabah a obtenu un Master en Anthropologie avant de se lancer dans un Master en gestion de projets humanitaires. Afin de valider son diplôme, Sabah a enchaîné deux stages – de 2 et de 6 mois respectivement – en tant qu’Assistante de Direction au siège de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL.
« Ce fut une belle immersion. Ces 8 mois m’ont donné une vision globale de l’association qu’ont peu de gens, je pense. Je connais par cœur la structure, du Conseil d’Administration à la Direction jusqu’au niveau opérationnel. Je sais comment ça fonctionne, à la fois au niveau du siège et en termes associatifs. Dans un deuxième temps, ça m’a permis de bien comprendre l’esprit de l’association ainsi que son identité, qui est quand même extrêmement forte. Et ça, c’est quelque chose que l’on retrouve sur le terrain. J’avais alors une bonne idée de ce qui m’attendait ! »
Est-ce que ton stage t’a équipée pour le terrain en termes de compétences concrètes ?
« C’est au cours de mon stage que j’ai appris à faire toutes les petites tâches qui font partie intégrale de n’importe quel milieu professionnel : comment écrire un mail, comment construire des dossiers . . . Ce sont des choses que je n’avais jamais eu à faire auparavant. »
Sabah est partie en mission pour la première fois en Haïti, où elle s’est occupée de la distribution de NFI (Non-Food Items, ou biens non-alimentaires) auprès des populations démunies. « Et puis en septembre 2012 je suis partie en République démocratique du Congo, sur un poste de Responsable Programme Sécurité Alimentaire. Je vivais et travaillais sur une sous-base à Tadu. Pour vous donner une idée d’à quel point c’était isolé, j’étais à cinq heures de route de la base à laquelle j’étais rattachée ; encore plus loin de la coordination. J’étais vraiment dans la brousse ; ça correspondait pas mal à l’image que l’on peut avoir d’une mission humanitaire. »
En quoi consistait le programme dont tu avais la charge ?
« Dans cette zone de la RDC – comme dans beaucoup d’autres – les gens ont été déplacés à l’intérieur du pays en raison du conflit. Ils ont perdu leurs moyens de production. Dans le cadre de ce programme on intervient une fois qu’ils commencent à pouvoir rentrer chez eux : il s’agit de la relance agricole. On leur fournit des outils, des semences et de l’encadrement. On assure la plantation et le suivi de production pour qu’ils puissent reprendre leur vie d’avant.
En tant que ‘généraliste’, comment est-ce que tu as fait face aux exigences techniques de ton poste ?
« Je me suis beaucoup appuyée sur les compétences des équipes, qui m’ont énormément appris sur l’agroalimentaire : les spécificités des plantes, par exemple, et le calendrier des pluies. En échange j’ai pu leur faire profiter de mon pragmatisme, et j’ai pu apporter un soutien en termes de la gestion de projet. »
Avec le recul, qu’est-ce que tu retiens de cette deuxième mission ?
« Je me suis éclatée. J’étais la seule expatriée à Tadu. Je vivais sur la base avec mon Assistant Logistique, qui faisait office de gardien. Les autres membres de l’équipe vivaient dans le village de Tadu. L’intégration pour moi a donc été totale ; j’étais en pleine immersion et c’est ça qui m’a particulièrement plu. »
« Grâce à cette proximité, les populations avaient une bonne visibilité sur notre projet : ils savaient ce qu’on faisait et dans quel but, et surtout, ils étaient persuadés de la pertinence des activités. C’était vraiment encourageant. »
« Je me souviens d’un dimanche après-midi où je travaillais sur mon ordinateur à l’extérieur de la maison. Une petite fille du village est venue se mettre dans la chaise à côté et a fini par s’endormir. C’est un bon exemple du rapport que j’avais avec la communauté : les gens se sentaient à l’aise avec nous, ils passaient nous voir, comme ça. Et c’est aussi en cela que ma mission a été particulière. »
À quel type de défis as-tu pu faire face lors de ta mission ?
« Déjà, il y avait le calendrier agricole : ça ne se négocie pas, ce qui impose une certaine rigidité en termes de planning. On ne dit pas ‘non merci’ à la saison des pluies ! »
« Sur un plan plus personnel, même si j’ai adoré vivre aux côtes de mon équipe, être sur une sous-base aussi éloignée des autres membres de l’équipe expatriée . . . ce n’était pas pour autant facile. J’ai pu me sentir isolée. »
D’après toi, quelles sont les qualités requises pour devenir Responsable Programme ?
« Je pense qu’il faut du leadership, de l’adaptabilité . . . et il faut savoir être résilient. Les communautés qu’on aide le sont – mais nous aussi on doit l’être, à notre manière. Il faut une grosse capacité de travail. Quant à moi je suis exigeante, certes ; mais tout d’abord avec moi-même.»
Et le Mali, ça s’annonce comment ?
« Ma prochaine mission va être très différente. Je serai basée à Bamako et je vais gérer à distance un projet mis en œuvre dans la région de Tombouctou. Le programme vise à améliorer l’accès à l’alimentation des communautés, ainsi que leurs conditions de vie, par la distribution de cash. Le but est aussi de limiter l’endettement des foyers, qui est un vrai problème à l’heure actuelle. Je serai chargée de la récolte et de l’analyse de données sur les distributions, qui auront eu lieu avant mon arrivée. Il faudra également définir une stratégie pour la zone. »
Et est-ce que tu appréhendes cette nouvelle direction que tu t’apprêtes à prendre ?
« Ça me correspond plus d’être dans l’action que dans la réflexion. Cependant dans un poste de Responsable Programme il y a de la réflexion, mais c’est une réflexion qui part du terrain. C’est ça qui fait la différence. Il faut savoir adapter le programme au fur et à mesure de sa mise en œuvre, en fonction de la réalité du terrain. »
« Je redoute surtout le fait de travailler en ‘remote’ (NDLR. à distance). J’ai pris l’habitude lors de ma dernière mission d’être très impliquée dans la vie du projet, de me réveiller avec les équipes. Il va donc falloir que je m’adapte à ce nouveau rythme. »
« Mais c’est aussi pour moi une manière d’évoluer. Je n’ai pas envie de monter en grade trop vite, même si c’est quelque chose qui se fait assez systématiquement dans les ONG et notamment chez SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. Je veux que mon ascension soit légitime. C’est pourquoi j’estime qu’il faut y aller étape par étape. Cette mission devrait me permettre de renforcer et de compléter les expériences que j’ai pu acquérir lors de mes dernières missions. Je me vois bien en Coordinateur Terrain un jour mais d’ici là j’ai encore des choses à apprendre. »