Après 14 mois d’escalade du conflit, le Soudan connait la plus grande crise de la faim au monde, avec plus de la moitié du pays en proie à une grave insécurité alimentaire. 25,6 millions de personnes devraient être confrontées à une insécurité alimentaire aiguë ou pire (IPC 3+) au cours de la prochaine période de soudure. Cela représente une augmentation de près de 40 % du nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire au cours des quatre derniers mois. L’alerte de la classification intégrée des phases de la sécurité alimentaire (IPC) récemment publiée a classé 755 000 personnes en situation de catastrophe (IPC phase 5), la classification la plus sévère sur l’échelle de l’IPC. Ces personnes vivent dans le dénuement et la famine, ayant épuisé toutes les possibilités d’accès à la nourriture et à une alimentation adéquate. Le rapport avertit également que des millions de personnes, vivant dans les États du Darfour, du Kordofan du Nord et du Sud, de Khartoum et de Gezira, sont exposées à un risque immédiat de famine. Les ONG internationales qui interviennent dans l’est du Tchad rapportent déjà que des milliers de personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, fuient chaque jour le Darfour et traversent la frontière à la recherche de nourriture.
Le Forum des ONG internationales présentes au Soudan (Sudan INGO Forum) a régulièrement tiré la sonnette d’alarme sur le fait que la poursuite et l’escalade du conflit, ainsi que les entraves à l’accès humanitaire conduisaient le Soudan au bord de la famine. En avril 2024, la communauté internationale s’est engagée à verser 2,2 milliards de dollars pour répondre aux souffrances de la population soudanaise au Soudan et dans l’ensemble de la région. Les promesses de solidarité et de soutien des donateurs internationaux restent largement non tenues. Le plan de réponse humanitaire est toujours gravement sous-financé, avec seulement 17 % des fonds nécessaires reçus à ce jour.
La crise alimentaire sans précédent que connaît le Soudan est le résultat direct du conflit et du mépris du droit international humanitaire et des droits de l’homme par toutes les parties au conflit. Les personnes qui subissent le plus sévèrement la crise de la faim au Soudan vivent dans les régions où la violence a été la plus intense. Les combats ont perturbé les récoltes et, bien que les marchés continuent de fonctionner dans beaucoup d’endroits, de nombreuses familles fuyant leurs maisons et sans revenus n’ont simplement pas les moyens d’acheter de la nourriture. Les femmes et les enfants continuent d’être touchés de manière disproportionnée par la crise de la faim et les taux de malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans et chez les femmes enceintes et allaitantes sont particulièrement préoccupants. Les attaques indiscriminées et ciblées de zones densément peuplées ont poussé des millions de personnes à se déplacer et ont gravement endommagé des infrastructures civiles essentielles, notamment des usines de traitement de l’eau et des hôpitaux.
Dans le même temps, l’accès à l’aide humanitaire continue d’être fortement entravé par des barrières administratives, des restrictions à la circulation des civils et des actes de pillage ou de violence à l’encontre des humanitaires. Des zones comme El Fasher au Nord-Darfour et Kadugli au Sud-Kordofan ont été mises en état de siège, empêchant des centaines de milliers de civils d’accéder à de la nourriture et de l’eau pendant des mois. Depuis que les autorités soutenues par les Forces armées soudanaises ne consentent plus au passage de l’aide, les Nations unies ont été dans l’incapacité d’acheminer des vivres du Tchad vers le Darfour via le poste-frontière d’Adré. Alors qu’une centaine de camions de denrées alimentaires sont entrés au Darfour par le point de passage de Tine, plus au nord, ces denrées mettent souvent des semaines à atteindre leur destination au Darfour, entravées par l’insécurité et le mauvais état des infrastructures routières. Des semaines que beaucoup de ceux qui se trouvent en situation critique ne peuvent se permettre d’attendre.
Dans bon nombre de ces régions, les initiatives locales d’entraide, y compris des cellules de crise locales, ont redoublé d’efforts pour la livraison de nourriture, délivrant des millions de repas par jour, malgré la menace constante d’arrestation et de mort. Des dizaines de militants et de bénévoles locaux ont été arrêtés, menacés et poursuivis en justice ces dernières semaines et au moins huit jeunes bénévoles ont été tués à El Fasher alors qu’ils apportaient une aide vitale aux personnes dans le besoin. Ces efforts courageux sont en outre sapés par un manque de financements flexibles et prévisibles. Au cours des six derniers mois, de nombreuses cuisines communautaires organisées à Khartoum et dans les Kordofans ont été contraintes de fermer leurs portes par manque de fonds.
Après plus d’un an de crise, l’approche humanitaire traditionnelle n’est pas à la hauteur des besoins de la population soudanaise et des solutions innovantes sont nécessaires. En plus d’accroître leur soutien aux initiatives d’entraide locales, de nombreuses ONG internationales ont décidé d’augmenter l’aide délivrée sous forme de transferts monétaires, afin de répondre rapidement aux besoins alimentaires et de base les plus urgents. Les données recueillies par les membres du Sudan INGO Forum indiquent que l’argent liquide est actuellement le moyen le plus rapide – et parfois le seul – de sauver des vies dans les régions du Soudan touchées par le conflit. Les ONG internationales ont la capacité opérationnelle de fournir à près de 2 millions de personnes une aide monétaire vitale au cours des trois prochains mois. Cependant, malgré les efforts de plaidoyer, les approches basées sur les transferts monétaires ne sont toujours pas prioritaires dans la réponse.
Après des mois d’inaction de la part de la communauté internationale, la situation au Soudan pourrait atteindre un point de non-retour. Le temps presse, il est urgent d’agir. Compte tenu de l’état critique de la situation actuelle, il est impératif de :
- Réunir à nouveau la communauté internationale, dès que possible, afin d’intensifier les efforts visant à mettre fin aux hostilités et à lever les obstacles à l’accélération de la réponse humanitaire ;
- Coordonner les efforts diplomatiques pour faire pression en faveur d’un accès humanitaire sans entrave en utilisant tous les itinéraires possibles, au travers des lignes de front et des frontières ;
- Accroître l’accès des initiatives d’entraide et autres acteurs locaux de la réponse à un financement flexible et prévisible, en supprimant les processus de conformité contraignants et en garantissant la transparence des montants de financement versés en soutien aux acteurs locaux ;
- Soutenir les ONG internationales pour qu’elles développent d’urgence des initiatives de transferts monétaires, en tant que réponse de première ligne à la famine ;
- Veiller à ce que les promesses faites à Paris soient délivrées au cours du mois suivant, en donnant la priorité au financement de ceux qui ont une présence opérationnelle dans les zones où les besoins sont les plus importants.
Signataires