Cette terrible année de bombardements et de combats a entrainé la mort d’au moins 40 861 Palestiniens dans la bande de Gaza et, au 5 septembre 2024, au moins 94 454 personnes avaient été blessées¹. L’arrêt total de tous les services publics de base a créé cette situation inédite dans laquelle la population est complètement dépendante de l’aide humanitaire. SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a pu commencer à travailler sur place en février 2024. Nous opérons depuis Deir El Balah – indépendamment des évolutions de la zone dite humanitaire, en accord avec le Droit international humanitaire – pour répondre aux besoins essentiels des civils touchés par la guerre. Malgré les efforts et les succès de l’équipe, la situation sanitaire reste un danger majeur pour les Gazaouis.
« Je ne me serais jamais imaginée voir des choses pareilles un jour, rapporte Kathleen Hamon, du bureau des Urgences de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. La situation est catastrophique. Les niveaux de destruction sont tels que, même si le conflit cessait maintenant, les gens ne pourraient pas rentrer chez eux. » Il est vrai que le danger constant, le manque de perspectives et les conditions de vie particulièrement difficiles créent beaucoup d’inquiétudes, même chez les humanitaires les plus aguerris.
90%
de la population jetée hors de son foyer
Le nombre de bâtiments détruits est hors-norme dans l’enclave palestinienne, tout comme celui des personnes déplacées de force. Les Nations Unis estimaient au mois de juillet, via le comptage satellite, que plus de 60% des immeubles de Gaza avaient été détruits². Dans les quelques espaces restants, plus de 2 millions de personnes tentent de survivre. Les grandes villes sont sous ordre d’évacuation ou globalement rasées, si bien que les 90% de Gazaouis aujourd’hui déplacés cherchent refuge dans les zones moins urbanisées, sur les plages, le long des routes, dans le moindre espace vacant. La surpopulation et la promiscuité font des ravages dans les camps de fortune. On estime la densité dans les abris à 1,5m² par personne, alors que le standard international minimal en situation d’urgence est de 3,5m² par personne³.
Palestine, bande de Gaza
Contexte et action- 2,3 millions d'habitants
- 111ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
- 18 667 personnes bénéficiaires
La vie dans ces abris est d’autant plus précaire que d’ordre d’évacuation en ordre d’évacuation, il n’est pas possible pour les familles de s’installer réellement. L’enquête que nous avons réalisée sur place révèle que les personnes ont été, au cours de cette année de guerre, déplacées en moyenne 4,4 fois. Lorsque l’armée israélienne annonce l’attaque imminente d’une zone, les évacuations de civils peuvent se faire en une journée comme en une heure. Dans l’urgence et la panique, les personnes ne se déplacent qu’avec le strict minimum, en général, des matelas et des jerricans vides, car ces familles ont dû apprendre rapidement à distinguer l’essentiel du superflu. Chaque déplacement enfonce un peu plus les familles dans la misère, car il faut payer pour trouver un moyen de transport et l’arrivée dans une zone déjà surpeuplée rend la situation encore plus insupportable. Même les tentes manquent, si bien que les abris sont construits à partir de matériaux récupérés. Dernier arrivé, dernier servi, et l’on se retrouve à s’installer dans un espace encore vacant car personne n’en a voulu. Encore plus petit et plus insalubre. Au fil de ces ruptures, les personnes sont aussi séparées de leurs réseaux de connaissances, aggravant leur solitude et leur vulnérabilité.
Une absence quasi-totale de services essentiels
Dans cette situation de catastrophe totale, les services de base qu’assure d’ordinaire un État sont stoppés en totalité ou presque. « Je n’ai jamais vu de crise avec une telle chute du niveau d’accès aux services pour la population, constate Kathleen Hamon, malgré les restrictions auxquelles étaient déjà soumis les Palestiniens depuis des années. La plupart vivaient jusqu’ici dans des conditions proches de celles que nous avons en Europe, en termes d’accès à l’eau, à la nourriture, à l’éducation. Donc c’est un vrai choc. » Aujourd’hui, il n’y a plus d’électricité à Gaza, en dehors des quelques générateurs dont le fonctionnement est entravé par le prix exorbitant du fioul. Cette absence d’énergie impacte directement l’accès à l’eau. En effet, en dehors de l’eau venue d’Israël – qui a largement fermé les robinets-, l’eau présente dans la Bande de Gaza est, depuis toujours, salée à cause des infiltrations d’eau de mer dans les nappes phréatiques. Ce problème était, avant la guerre, traité par des stations de désalinisation. La coupure totale de l’électricité par Israël a donné un coup d’arrêt à ces stations, si bien que les capacités de production d’eau ont été réduites à 25% de leur niveau d’avant-guerre. Le standard international en situation d’urgence est de 7,5 litres d’eau par jour et par personne minimum, mais l’UNICEF indique une disponibilité d’eau médiane de 3 litres d’eau à Gaza. Certains habitants sont donc contraints de boire une eau malsaine, et l’impossibilité de maintenir un niveau d’hygiène minimal impacte sévèrement leur santé.
Une situation sanitaire hors de contrôle
Les zones qui accueillent aujourd’hui les millions de déplacés de la bande de Gaza étaient auparavant peu urbanisées. Leurs réseaux d’assainissement ne sont pas dimensionnés pour une telle population, d’autant plus qu’ils sont très endommagés par le conflit. En conséquence, tout déborde. La moitié des routes de Deir El Balah sont recouvertes d’eaux usées. La création et l’entretien de latrines est le plus souvent impossible. Les personnes se mobilisent bien sûr avec les moyens du bord pour creuser des trous, mais les effets de ces efforts sont dérisoires. 395 000 tonnes de déchets solides⁴, impossibles à collecter dans ces circonstances, aggravent ce lourd bilan.
Se procurer des produits d’hygiène est aussi devenu un souci majeur. Les prix ont atteint de telles extrémités, qu’il n’est plus possible de s’en acheter. Entre juillet 2023 et juillet 2024, le coût du savon a augmenté de 1177%, celui du shampoing de 490%⁵. Si la population de Gaza est parfaitement informée et habituée aux pratiques d’hygiène nécessaires pour sa santé, elle n’y a malheureusement plus aucun accès.
Sans surprise, tous ces impacts de la guerre créent les conditions de la résurgence de maladies hydriques. Sans accès à du savon, de l’eau ou des toilettes, et dans une telle promiscuité, le risque d’épidémie explose. Une très vaste campagne de vaccination contre la poliomyélite vient d’être organisée, mais la situation sanitaire reste dramatique. Depuis janvier, dans la bande de Gaza, plus de 100 000 cas de jaunisse aiguë ont été enregistrés, ainsi que plus de 414 000 cas de diarrhée aiguë⁶. Ils s’ajoutent à l’insécurité alimentaire dramatique que subissent les populations, si bien que l’on a constaté au mois d’août une augmentation significative de la malnutrition.
L’ingéniosité des équipes et la pertinence de l’aide
Présente sur le territoire depuis février 2024, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL centre son action sur l’abondement en eau potable et domestique. Pour contourner les difficultés à faire entrer du matériel sur le territoire, l’équipe a fait le choix du pragmatisme : réussir à désaliniser de l’eau à partir des moyens accessibles localement. L’inventivité et le professionnalisme ont guidé les actions. Une station de désalinisation a ainsi pu être remise en marche au mois de juillet uniquement grâce à la récupération de matériel trouvé sur place. Cette station peut produire 100 000 litres d’eau par jour. Chaque matin, les deux camions-citernes de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL et ceux de ses partenaires, démarrent leurs allers-retours vers les points de distribution, couvrant ainsi de façon relativement satisfaisante les besoins en eau de 30 000 personnes.
L’équipe a également trouvé le moyen, non conventionnel mais efficace, d’accéder à l’eau des puits présents sur le territoire en créant une unité mobile de production d’énergie. Surnommé la « Wattomobile », ce camion fait quotidiennement la tournée des puits pour en faire fonctionner les pompes quelques heures avant de repartir vers le puit suivant.
Des besoins croissants face à une aide à l‘avenir incertain
Malgré ses succès, maintenir des distributions quotidiennes d’eau est une gageure pour l’équipe. Les ordres d’évacuations ont, à plusieurs reprises, stoppé les stations ou empêché des distributions. Nos équipes subissent également bombardements et évacuations. Mais la principale limite à notre action reste le coût exorbitant du fioul. Fournir 30 000 personnes quotidiennement en eau est un gouffre financier qui remet en cause tant le fonctionnement des stations de désalinisation, que celui de la « Wattomobile » et la distribution d’eau par camion. Dans l’état actuel des financements de la mission, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL risque de devoir stopper son action dès le mois de décembre. On sait pourtant que la situation des Gazaouis va encore s’aggraver avec l’arrivée de l’automne et son cortège de pluies. En effet, de très nombreuses personnes ont trouvé refuge dans des zones d’autant plus inondables que les canaux d’irrigations détruits par la guerre n’ont plus la capacité de canaliser l’eau. En l’absence d’autres lieux pour accueillir les familles, le problème de la gestion des boues va très bientôt prendre une dimension encore supérieure : les eaux usées vont contaminer les puits et aggraver la pénurie d’eau saine.
Le stock de chlore pour traiter l’eau qui s’amenuise, ainsi que l’arrivée du froid cet hiver laissent prévoir un avenir difficile pour une population civile déjà très éprouvée par le non-respect de ses droits fondamentaux. Il faut cesser de mêler les populations civiles à la guerre. Il faut impérativement augmenter l’assistance humanitaire, et pour cela, un cessez-le-feu est nécessaire. Il faut, enfin, lever les obstacles sécuritaires, financiers et administratifs à l’assistance humanitaire. En dehors de toute considération politique, le Droit international humanitaire est un bien commun qui protège tous les civils du monde. La population de Gaza doit pouvoir vivre dans des conditions qui respectent les standards de ce droit.
Sources :
¹ Données au 5 septembre du Ministère de la santé de Gaza
² UNOSAT Gaza Strip 8th Comprehensive Damage Assessment – July 2024
³ OCHA , septembre 2024
⁴ OCHA
⁵ Water, Sanitation and Hygien Cluster
⁶ Health Cluster
Photos : © SOLIDARITÉS INTERNATIONAL