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Golfe du Bengale : qui sont ces boat-people à la dérive ?

Publié le mardi 19 mai 2015
famille rohingyas

Fuyant leur pays d’origine et leurs conditions de vies extrêmement difficiles, des milliers de Rohingya et de Bangladeshi ont pris la mer à bord d’embarcations de fortune ces derniers mois. Depuis la fermeture de la frontière malaysienne il y a quelques jours, ils dérivent en mer dans des conditions dramatiques. Mais qui sont-ils et pourquoi fuient-ils leurs lieux de vie ? Eclairage avec Christophe Vavasseur, responsable du desk Asie.

 

Quelle est cette population que l’on retrouve sur ces bateaux à la dérive ?

Ces boat-people sont majoritairement des Rohingya, une minorité ethnique de confession musulmane, mais aussi des Bangladeshi. Les Rohingya fuient l’oppression dont ils sont victimes notamment en Birmanie et au Bangladesh. On parle d’une population de plus d’un million de personnes sur ces deux pays et de plusieurs centaines de milliers supplémentaires dans d’autres pays d’Asie. Suite à des violences intercommunautaires en 2012, beaucoup d’entre eux vivent dans des camps dans l’Etat du Rakhine en Birmanie dans des conditions extrêmement sommaires et sans véritable liberté de mouvement, ni d’accès à l’éducation et à la santé et sous le coup de restrictions administratives. Les autorités Birmanes s’attachent à trouver une solution durable sans toutefois qu’il y ait de véritable amélioration concrète pour ces populations. La stagnation de leur situation ne fait que renforcer leur désir de fuir, sans qu’ils n’en mesurent nécessairement les risques réels.

Pourquoi sont-ils discriminés dans leur pays d’origine ?

Ils ne sont discriminés que par certains leaders bouddhistes extrémistes et une frange de la population Birmane. Considérés comme une menace pour l’identité birmane, il s’agit essentiellement pour eux d’une forme de nationalisme religieux qui veut que des musulmans ne puissent être considérés comme Birmans et tolérés sur leur sol. C’est une situation qui perdure depuis des décennies, conséquence notamment de la dissolution de la junte en 2011, où les tensions religieuses « étouffées » pendant des dizaines d’années sont ressorties au grand jour, révélant une islamophobie latente. Mais leurs souffrances ne sont pas exclusivement vécues en Birmanie et leur condition d’apatridie (1) (loi de 1982 relative à la citoyenneté qui déchoit les Rohingyas de leur nationalité birmane) en font à la fois des parias et des sujets d’exploitation dans toute la sous-région.

Pourquoi prennent-ils la mer, sont-ils chassés de leur pays ?

Ils ne sont pas nécessairement formellement chassés. Ils prennent le plus souvent la mer volontairement, depuis la Birmanie mais aussi depuis le Bangladesh ou d’autres pays voisins, afin d’échapper au sort qui est le leur et en vue d’une vie meilleure pour eux et leurs familles. Mais cela mène trop souvent à des vies brisées.

D’où viennent-ils exactement et quelles sont leurs conditions de vie ?

Les Rohingya vivent essentiellement dans l’Etat du Rakhine en Birmanie et au Bangladesh. Il résulte de leur condition d’apatridie qu’ils doivent le plus souvent habiter sur des territoires reculés, dans des villages isolés ou des camps, où la situation sanitaire est très précaire et où l’accès aux services de bases est extrêmement restreint. Il en résulte des zones de quasi non-droit, une vulnérabilité aigue à l’exploitation humaine, une forte malnutrition, mais il reste difficile de se faire une idée précise faute d’un accès suffisant pour les acteurs humanitaires.

Pourquoi les médias ne parlent-ils jamais d’eux et de leur souffrance ?

Cette situation catastrophique qui dure depuis si longtemps a peu d’écho dans les médias occidentaux généralistes qui aspirent à couvrir une autre actualité, celle qui parle sans doute davantage à leur public. Il y a peut-être actuellement une résonnance avec les drames humains en mer méditerranée et peut-être qu’un rapprochement historique inconscient est fait avec les boat-people du Vietnam des années 70, ce qui avait été un fait marquant de l’histoire de l’aide humanitaire. Mais les drames en mers du Bengale et d’Andaman sont régulièrement rapportés par des médias de la sous-région. Il s’agit d’une crise humaine plutôt bien connue localement. Les acteurs ayant un pouvoir de changer les choses ne peuvent l’ignorer.

Comment et pourquoi faut-il leur venir en aide ?

Pour faire cesser le désespoir de ces populations qui les conduit à s’exposer à tant de souffrances, une solution durable ne peut être qu’essentiellement régionale. Les pays concernés doivent s’entendre pour annihiler ces dynamiques néfastes, notamment dans le cadre de l’ASEAN dont la politique de non-ingérence a atteint ses limites lorsque tant de pays se sont retrouvés incapables de décemment gérer ces flux de migrants. Conjuguées à des efforts de plaidoyer (2) les solutions immédiates pour soulager ces souffrances, ici et maintenant, ne peuvent venir que des ONG humanitaires qui travaillent sans cesse à améliorer l’accès à ces familles afin de leur fournir des services de base de qualité. Nous ne sommes qu’une poignée à y parvenir. SOLIDARITES INTERNATIONAL y prend une large place dans plusieurs pays concernés.

Quelles sont les actions de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL pour leur venir en aide ?

SOLIDARITÉS INTERNATIONAL s’attache à permettre à une partie de cette population d’avoir accès à de l’eau potable dans les camps de déplacement ou dans les villages d’accueil, alors même que la rareté et la salinité de l’eau dans ces territoires sont une contrainte majeure endémique pour les habitants. Les conditions sanitaires étant le plus souvent déplorables, il s’agit aussi pour nous d’y améliorer l’assainissement et de promouvoir les bons comportements d’hygiène. Nous réduisons ainsi le risque épidémique et la morbidité des plus fragiles, sans toutefois interférer dans les logiques qui sont les leurs et qui les enjoignent à prendre la mer. Si la responsabilité du sauvetage en mer et le respect du Droit International incombent aux Etats, une fois en mer, il y a peu de chose que nous puissions faire sans prendre un risque sécuritaire majeur pour nos travailleurs humanitaires. Mais demeurer sur terre à leurs côtés reste une prouesse dont nous pouvons être fiers tant les difficultés et les entraves sont nombreuses.

(1)    Les Rohingya ne bénéficient pas d’un statut d’apatride dont ils ne veulent d’ailleurs pas car ils se considèrent pour la plupart comme Birmans.
(2)    Sur le mode « silent advocacy » ou « plaidoyer de couloir ».

Photo : Constance Decorde

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