Depuis un an, des milliers de réfugiés pakistanais traversent la frontière afghane tentant de fuir les combats entre l’armée pakistanaise et les Talibans dans la province du Waziristan. Eclairage de Philippe Bonnet, chef de mission en Afghanistan.
Ils sont arrivés en Afghanistan à partir de la mi-juin 2014, quelques jours après le déclenchement de l’offensive de l’armée pakistanaise au Nord Waziristân. Alors que des centaines de milliers de personnes s’éloignaient des zones de combat vers des régions plus calmes au Pakistan, dix mille familles choisissent de franchir la frontière afghane, la fameuse « Ligne Durand » qui, depuis 1893, sépare artificiellement les tribus Pashtounes entre l’Afghanistan et le Pakistan. Autant dire qu’aux yeux de ces familles qui s’installent dans les provinces afghanes de Paktika et Khost, cette frontière n’a que peu de valeur. D’ailleurs, dans les premières semaines de la crise les autorités afghanes rechignent à parler de réfugiés, employant le terme intéressant de « déplacés ayant franchi une frontière » et placent la gestion de la crise sous l’autorité du Ministère des Affaires Tribales et des Frontières. Les réfugiés, quant à eux, se moquent bien de cette distinction et commencent à s’installer chez des proches ou dans des familles d’accueil. Certains, n’ayant pas cette opportunité, s’installent dans le district de Gurbuz sur un terrain aride et caillouteux mis à leur disposition, une vaste plaine où rien ne pousse, dépourvue d’eau et d’ombre, bordée au sud par des collines, à dix kilomètres de la frontière pakistanaise. Ainsi naquit, spontanément, le camp de réfugiés de Gulan.
‘’Nous avons été réfugiés au Pakistan, les Pakistanais nous ont aidés, c’est à notre tour, désormais, de les aider’’
Certains arrivent en voiture, d’autres à pieds emportant avec eux quelques affaires, leur biens les plus précieux, des petits stocks de nourriture, ce qu’ils ont eu le temps de rassembler et la possibilité d’amener avec eux dans leur fuite. Rapidement, des campements de fortunes se mettent en place, les familles et les clans se regroupent et commencent à s’installer. C’est la période du ramadan, il fait chaud en ce mois de juin 2014 et les communautés environnantes accueillent ces réfugiés et les aident volontiers : « Nous avons été réfugiés au Pakistan, les pakistanais nous ont aidés, c’est à notre tour, désormais, de les aider« . Le ramadan, c’est aussi le partage, les communautés environnantes donnent de la nourriture aux plus démunis, des commerçants de la ville de Khost, à une vingtaine de kilomètres, se cotisent pour envoyer des camions d’eau à ces quelques milliers de personnes, une entreprise installe même un forage sur ce terrain jusqu’alors objet de dispute entre les tribus environnantes. Rapidement, l’assistance s’organise, les ONGs commencent des distributions d’articles essentiels et Médecins sans Frontières (MSF) installe un centre de santé dans une école desservant les villages environnants et situé à la lisière du camp, installe des bladders (réservoirs souples) pour améliorer l’accès à l’eau, creuse quelques latrines publiques avec le concours des habitants du camp. Fin septembre 2014, SOLIDARITES INTERNATIONAL prend le relais sur le volet Eau, hygiène et assainissement (EHA) grâce à des financements de la communauté Européenne. Le camp abrite alors quinze mille personnes qui comptent bien rentrer dans leurs foyers au printemps, la guerre, selon eux, ne durera pas plus de 3 mois.
Le retour au Pakistan ? Il semble aujourd’hui incertain
Juin 2015, un an après que les premiers réfugiés ont franchi la frontière, la situation est bien différente au camp de Gulan qui compte désormais plus de 65 000 habitants. Un marché s’est développé, une dizaine d’écoles permettent aux enfants de recevoir une éducation primaire, un centre de santé a été construit, une quarantaine de mosquées rassemblent les fidèles pour la prière. Progressivement, les campements de toile sont remplacés par des maisons de briques crues, certainement très proches dans leur conception des maisons que les réfugiés ont quittées au Nord Waziristân. Les structures sociales se sont développées et une assemblée des anciens (Shura) permet de résoudre les conflits entre les réfugiés et les différentes tribus qui composent la population du camp. Ces anciens sont le relai naturel entre ces communautés et les organisations qui leur viennent en aide. Le retour au Pakistan ? Il semble aujourd’hui incertain alors qu’un mois plus tôt, le 15 mai, une nouvelle offensive a été déclenchée par l’armée pakistanaise, que les drones sillonnent le ciel à la recherche de cibles et que les combattants Talibans sont insaisissables.
Des latrines familiales pour assurer l’accès des femmes à l’assainissement
Les équipes de SOLIDARITES INTERNATIONAL ont dû s’adapter à cette augmentation constante de la population du camp. Les infrastructures permettant d’assurer l’accès à l’eau n’ont cessé de s’étoffer. A terme, dix forages permettront de produire plus d’un million de litres d’eau potable quotidiennement, permettant à chaque réfugié de disposer d’un minimum de quinze litres d’eau par jour et assurant l’alimentation en eau des structures communautaires (Centre de santé, écoles etc..).
Des blocs de latrines/douches familiales d’urgence sont progressivement installés dans chaque campement, 5 000 seront nécessaires pour permettre à chaque famille d’avoir un accès à des infrastructures sanitaires adaptées à l’environnement culturel. En effet, l’installation de latrines publiques n’aurait pas permis d’assurer l’accès des femmes à ces infrastructures indispensables. A terme, prenant en considération l’évolution de l’habitat dans le camp, des latrines plus durables devront être mises en place. La gestion des déchets est également assurée au niveau du camp par SOLIDARITES INTERNATIONAL, grâce à des bacs à ordures, répartis dans le camp et vidés quotidiennement par les réfugiés dans des fosses prévues à cet effet.
Discuter avec les anciens
Les équipes de SOLIDARITES INTERNATIONAL promeuvent également dans le camp les bonnes pratiques d’hygiène, garantissant l’adaptation de ces populations, souvent d’origine rurale, à la vie dans un camp de réfugiés où la population est plus dense et les risques sanitaires plus élevés. Des sessions de promotion de l’hygiène sont ainsi organisées dans les écoles, dans les mosquées mais aussi dans les foyers. Pour y accéder, il a fallu prendre en compte les codes sociaux de ces populations traditionalistes. Seule une femme peut entrer dans les campements et accéder aux familles, femmes, enfants des réfugiés. Ainsi, une équipe de 6 promotrices de l’hygiène sont quotidiennement au contact des femmes du camp diffusant les bonnes pratiques d’hygiène à la communauté. Pour accompagner la diffusion de ces bonnes pratiques d’hygiène, des articles essentiels comme du savon, de la lessive ou des réservoirs d’eau sont distribués.
Toutes les activités sont discutées en amont avec l’assemblée des anciens (Shura) afin d’en garantir la faisabilité, l’acceptance et l’appropriation du projet par les populations bénéficiaires.
L’avenir ? Il est incertain, les réfugiés eux-mêmes n’entrevoient pas un retour dans un futur proche, certains envisagent même de rester plusieurs années, ce que dans les faits, semble confirmer la construction, par les réfugiés eux-mêmes, d’abris plus durables. Evidemment, leur sort est lié à l’évolution de la situation militaire et politique au Pakistan, aux relations entre l’Afghanistan et le Pakistan et il serait hasardeux, à ce jour, de faire des prédictions sur un éventuel dénouement de cette crise.
Nos équipes ont besoin de votre soutien
Ce projet a été mis en oeuvre avec le soutien financier d’ECHO
Afghanistan
Contexte et action- 42,2 millions d'habitants
- 180ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
- 90 831 personnes bénéficiaires