2024 a été une année éprouvante. Le nombre de conflits armés a atteint un niveau record¹ entrainant des décès et des souffrances dont les populations civiles sont les premières victimes. Selon les Nations unies, elle a aussi été l’année la plus meurtrière de tous les temps pour les travailleurs humanitaires. Aux conflits s’ajoutent les crises climatiques, sanitaires, économiques et politiques ; et pourtant les ressources disponibles pour répondre aux besoins humanitaires se tarissent. Alors que 2025 s’annonce tout aussi difficile, faisons le point sur la situation humanitaire mondiale².
Des millions de personnes ont été laissés sans assistance en 2024 et cela devrait perdurer en 2025
Malgré tous les efforts déployés par les acteurs humanitaires, plus de 82 millions de personnes n’ont pas reçu l’aide qui avait été prévue par le cycle de programmation humanitaire en 2024. Autrement dit, seulement 59% des besoins humanitaires visés par le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), tous plans confondus, ont été couverts l’année dernière. En plus des financements insuffisants, ceci s’explique aussi par l’incapacité à accéder à certaines zones pour cause d’insécurité, des conditions logistiques difficiles, de problèmes bureaucratiques et de certaines autorités qui instrumentalisent et restreignent consciemment l’aide humanitaire.
Concrètement, les conséquences pour les populations concernées sont incommensurables. Quelques chiffres :
- A la mi-2024, plus de 100 millions de personnes ont été privées d’un accès à des services essentiels en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène.
- 120 millions de personnes étaient déplacées de force, une augmentation constatée pour la 12e année consécutive. En cinq ans, le nombre de personnes contraintes de fuir leur foyer à l’intérieur de leur propre pays, principalement à cause de conflits a augmenté de près de 50%³.
- En août 2024, pour la première fois depuis 2017, la famine refait surface et est confirmée dans certaines localités du Darfour au Soudan⁴.
Pour 2025, OCHA estime à 305 millions le nombre de personnes qui auront besoin d’aide humanitaire et de protection –nombre qui a plus que doublé en 5 ans-, et il fixe à 189 millions l’objectif de personnes à atteindre en priorité parmi celles-ci. Pour cela, 47,4 milliards de dollars américains seront nécessaires. Si cette somme semble énorme, OCHA nous rappelle que cela représente moins de 2% des dépenses militaires ou environ 4% des bénéfices du secteur bancaire à l’échelle mondiale.
Les plans humanitaires sont sous financés de manière chronique
En 2023 et 2024, moins de la moitié des demandes, soit 45% puis 43%, avaient été financés. Pour pallier ce problème, la coordination humanitaire a entamé un processus de priorisation et de rationalisation des coûts pour présenter des plans qui « concentrent l’aide humanitaire en faveur des zones de crise où les besoins sont les plus graves » en adoptant une nouvelle méthodologie de définition et d’analyse des besoins.
Ainsi, le budget total demandé en 2025 est inférieur de plus de 2 milliards par rapport à 2024. Cette baisse de demandes financières ne reflète pas nécessairement une amélioration de la situation humanitaire globale, mais plutôt une volonté de délimiter de manière restrictive le périmètre de l’action humanitaire, en supposant sans certitude que d’autres bailleurs ou plans de développement couvriront ces besoins jugés moins prioritaires. Dans un contexte budgétaire restreint, la rationalisation des coûts ne doit cependant pas compromettre nos principes humanitaires.
Par exemple, au Myanmar en 2025, 19,9 millions de personnes – soit un tiers de la population – auront besoin d’une aide humanitaire. Malgré la hausse des besoins, le plan national humanitaire du Myanmar a limité son objectif de personnes à atteindre à 5,5 millions de personnes. Si ce plan n’est financé qu’à 25% à la fin de l’année, les associations humanitaires de nutrition prévoient qu’elles ne pourraient aider que 160 000 personnes déplacées internes (soit 54 % de l’objectif fixé pour cette catégorie de population). Les personnes apatrides, les personnes déplacées qui retournerons chez elles et toute autre personne touchée par la crise ne recevront aucun soutien.
La diminution constante des budgets alloués à l’aide humanitaire et au développement est une tendance inquiétante qui est constatée dans plusieurs pays. Il est fort probable qu’en 2025, ces choix politiques, loin d’être inéluctables, nous imposent des situations où nous devons prioriser certains besoins humanitaires au détriment d’autres.
Les populations civiles paient le plus lourd tribut des crises, en particulier lorsque le droit international humanitaire n’est pas respecté
2024 aura été marquée par des violations du droit international humanitaire et des attaques sans distinction sur les populations civiles et les travailleurs et infrastructures humanitaires. À Gaza, au Soudan, et dans beaucoup d’autres endroits, l’aide humanitaire a été bloquée et instrumentalisée, rendant notre travail quasi impossible.
En 2025, les besoins humanitaires les plus nombreux sont en Afrique orientale et australe, où 85 millions de personnes ont besoin d’une aide ; la crise au Soudan représentant à elle seule 35% des besoins. Le chiffre de 30 millions de personnes dans le besoin au Soudan est sans précédent pour un plan national et souligne la gravité de la situation humanitaire dans le pays.
Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, 59 millions de personnes sont dans le besoin. La Syrie reste, en nombre de personnes, le pays où les besoins humanitaires sont les plus élevés, mais la situation dans les Territoires palestiniens occupés et notamment à Gaza est particulièrement alarmante.
En Afrique de l’Ouest et du Centre, 57 millions de personnes ont besoin d’une aide immédiate, avec l’augmentation la plus marquée observée au Tchad, en raison de l’arrivée continue de personnes fuyant le Soudan.
55 millions de personnes en Asie Pacifique, dont 30 millions soit la moitié en Afghanistan, et 34 millions en Amérique latine et dans les Caraïbes sont touchées par les crises humanitaires. En Europe, près de 13 millions d’Ukrainiens, soit 36% de la population, nécessiteront une aide humanitaire.
Les conflits, les crises climatiques, la mauvaise préparation et réponse aux catastrophes naturelles, les inégalités d’accès aux services essentiels et les mauvaises gouvernances sont à l’origine des besoins humanitaires ; tous sont le résultat direct d’actions humaines et de choix politiques.
Malheureusement, il est difficile d’être optimiste et il est fort probable qu’en 2025 la plupart des personnes n’accèderont pas à l’aide dont elles auraient besoin. Ce constat d’échec poignant doit mettre tous les acteurs humanitaires en face de leurs responsabilités. En coopération avec nos partenaires locaux, nos associations humanitaires innovent et adaptent leurs pratiques pour développer une aide plus efficace, plus rapide et qui réponde aux besoins spécifiques de chaque personne. Cependant, nous avons besoin des moyens financiers et des conditions politiques pour répondre à notre mandat du mieux possible.
- Les bailleurs doivent faire des choix ambitieux et fournir des financements de qualité afin de permettre une action humanitaire flexible, rapide et respectueuse des principes humanitaires.
- Alors que les crises humanitaires et de déplacement sont de plus en plus longues, il est crucial que l’Aide publique au développement priorise aussi ces contextes fragiles pour redonner des perspectives d’avenir aux populations.
- Les parties aux conflits doivent respecter leurs obligations et la diplomatie internationale doit placer le respect du droit international humanitaire au cœur de ses priorités.
Tandis que les crises s’aggravent, que les droits humains et le droit international humanitaire sont de moins en moins respectés, et que des millions de vie sont dévastées et brisées, notre engagement à apporter une aide humanitaire impartiale, neutre et indépendante aux populations touchées par les crises, où qu’elles soient, est sans faille.
Chiffres saillants pour 2025
Les 5 crises nationales les plus importantes selon le nombre de personnes qui ont besoin d’aide (par ordre décroissant) : le Soudan, l’Afghanistan, la République démocratique du Congo, le Myanmar et le Yémen.
16 pays ont réduit leur cible de financements par rapport à 2024 : l’Afghanistan, le Burkina Faso, le Cameroun, la Centrafrique, l’Ethiopie, le Guatemala, le Honduras, le Mozambique, le Niger, le Nigéria, la République démocratique du Congo, le Salvador, la Somalie, le Sud Soudan, l’Ukraine et le Yémen.
La durée moyenne des plans/appels humanitaires atteint désormais 10 ans. La République centrafricaine, le Tchad, la République démocratique du Congo, les territoires palestiniens occupés, la Somalie et le Soudan connaissent des besoins humanitaires continus depuis plus de 20 ans.
¹ Au cours de la période de référence suivante : 1er juillet 2023-30 juin 2024. International Institute for Strategic Studies, The Armed Conflict Survey 2024, 12 décembre 2024 https://www.iiss.org/publications/armed-conflict-survey/
² Sans indication contraire, les données sont issues de l’aperçu de la situation humanitaire pour 2025 du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) https://humanitarianaction.info/
³ En avril 2024. UNHCR, Tendances mondiales, déplacements forcés en 2024, https://www.unhcr.org/fr/tendances-mondiales
⁴ Cadre Intégré de Classification de la sécurité alimentaire (IPC), Soudan : Situation d’insécurité alimentaire aiguë – Projections actualisées et conclusions du Comité d’examen de la famine d’octobre 2024 à mai 2025 https://www.ipcinfo.org/ipc-country-analysis/details-map/en/c/1159433/?iso3=SDN