Depuis l’explosion de la guerre à Khartoum en 2023, le conflit soudanais a jeté plus de 14 millions de personnes sur les routes –soit presque 1/3 de la population-, entrainé une partie du pays dans la famine et stoppé toute forme de vie normale pour tous ses habitants. À quoi se sont ajoutées des inondations saisonnières particulièrement violentes. Vous n’en entendez pourtant que très peu parler, le résultat d’entraves à l’information. La sévérité phénoménale de ce conflit justifie pourtant l’attention de tous. Pour cette raison, les témoignages que vous allez découvrir sont rares et précieux. Il est important d’être à l’écoute des quelques voix qui parviennent à sortir du Soudan.
Déplacés dans la guerre soudanaise
À Geneina, la capitale du Darfour de l’Ouest, l’atmosphère est lourde, et le désespoir palpable. La population subit depuis un an et demi une crise humanitaire sans précédent. 10,9 millions de personnes¹ ont dû fuir leur maison mais sont restées à l’intérieur des frontières soudanaises. Le Darfour est au cœur des combats depuis avril 2023. Le conflit a entrainé une crise alimentaire grave, notamment dans le camp de déplacés de Zamzam près de El Fasher au Darfour, où 755 000 personnes² subissent la famine. On estime que plus de 100 000 personnes la subissent encore. Se sont ajoutées des inondations saisonnières particulièrement fortes qui ont déplacé plus de 186 000 personnes³.
© SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
Soudan
Contexte et action- 48,11 millions d'habitants
- 172ème sur 191 pays pour l'Indice de Développement Humain
- 367 391 personnes bénéficiaires
« Je vois beaucoup de personnes déplacées qui ont perdu des membres de leur famille. Certaines se sont fait tirer dans les jambes, elles ont été blessées. C’est pourquoi on doit organiser une réponse d’urgence. Tout est difficile ici. Il y a beaucoup de tirs, de bombardements, surtout là où je travaille, à El Fasher. Chaque matin, on doit faire un point sur la situation sécuritaire. »
Khan Mohammed Masood Iqbal, responsable logistique au Soudan pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
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« Chez nous, à cause de la guerre, on ne pouvait aller nulle part. Les hommes ne pouvaient pas sortir parce qu’ils pouvaient être tués. Alors ils restaient cachés à la maison. Seules les femmes pouvaient sortir et devaient travailler dur pour faire vivre toute la famille. On a vendu nos affaires, les meubles, et on a contracté des prêts, juste pour réussir à rester en vie. (…) Dans le camp, ma tente était très proche des inondations, alors on a dû fuir. Mais ça a été difficile, il y avait tellement d’eau. J’ai vu des familles qui sont restées trois jours dans les arbres sans nourriture. Le croissant rouge a finalement réussi à leur amener des bacs pour leur faire traverser la rivière. (…) Aujourd’hui la situation est très mauvaise. On a reçu des abris et des nattes de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. En dehors de ça, on manque de tout : nourriture, soins… Et d’une aide financière aussi car la plupart d’entre nous avons perdu nos emplois. Ceux qui ont la possibilité de reconstruire leur maison ont pu rentrer chez eux. Mais ma famille et moi, même si nous voulons rentrer, nous n’avons plus rien là-bas. »
Fatima Mahmoud Omar, à Geneina
« Je viens du Darfour de l’Ouest. J’ai 44 ans et 11 enfants. On est venus ici à cause des inondations. Les fortes pluies nous ont obligés à partir. Ça a été un voyage difficile. Ça a pris beaucoup de temps. On a dû traverser l’eau, mais le niveau était si haut qu’il a fallu porter les enfants et les personnes âgées. Alors on a récupéré un « container », on les a mis dedans comme dans une barque et on leur a fait traverser l’étendue d’eau. »
Osman Bashir Abdullah, à Geneina
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« Cette année, on a eu les inondations les plus fortes depuis 80 ans. La plupart des gens qui vivent dans la vallée ont vu leur maison détruite. Et l’eau a été contaminée. Alors certains sont allés vivre dans les écoles. »
Sholgi Mohammed Ahmad, chargé de suivi, évaluation, redevabilité, et apprentissage pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
« Quand l’eau inonde une zone, elle est pleine de déchets, solides et liquides. Alors quand elle atteint une source, l’eau n’est plus potable. »
Hagar Ismail, chargé de suivi, évaluation, redevabilité, et apprentissage pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
« Dans les camps, il y a beaucoup d’abus sexuels, beaucoup de dangers, surtout dans les sanitaires des femmes. Personne ne se sent en sécurité. »
Khan Mohammed Masood Iqbal, responsable logistique au Soudan pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
© SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
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« À Geneina, quand on interroge les personnes sur leurs besoins, c’est toujours la nourriture et l’eau qui reviennent. C’est la priorité. »
Sholgi Mohammed Ahmad, chargé de suivi, évaluation, redevabilité, et apprentissage pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
Les Soudanais réfugiés au Tchad
Le Tchad, voisin de l’État du Darfour, accueille plus de 860 000 Soudanaises et Soudanais réfugiés. La ville frontalière d’Adré constitue le principal point d’arrivée. C’est aussi à cet endroit que SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a ouvert une base dès le début du conflit.
© SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
« Je m’appelle Mohammad, j’ai 40 ans, et je viens de l’ouest de Darfour, précisément de Geneina. J‘enseigne l’anglais dans le secondaire. Je suis arrivé à la frontière d’Adré après l’attaque sur Geneina du 4 avril 2023. Au bout d’une semaine de combats, j’ai réussi à quitter la ville. Avec ma famille nous nous sommes retrouvés chacun à courir partout. La quasi-totalité de mon groupe a été tuée ou rattrapée. Avant d’arriver à la frontière, l’armée tchadienne nous a accueilli. On a passé la frontière du Tchad et on est arrivés à pied à Adré. Il n’y avait pas de distribution organisée de nourriture. On a vraiment souffert de la famine. Après deux semaines, au camp d’Adré, j’ai retrouvé une partie de ma famille. Après un temps, ils nous ont relocalisés ici, à Mornei, avec ma petite famille, donc ma femme et mes trois enfants. Mais pour ce qui est de ma grande famille, donc avec mes parents, on ne s’est pas revus. Ils ont été relocalisés dans un autre camp, dans une autre province.
Je vis dans ce camp, malgré moi, avec l’absence de services de base. Il n’y a pas l’éducation appropriée, pas la santé, pas d’eau. Je suis toujours à la recherche d’un endroit meilleur qui nous garantit le minimum. Ici, il n’y a pas de travail non plus. Et puis le camp de Mornei est trop près de la frontière soudanaise. Les gens qui nous ont expropriés de nos terres au Soudan, on les retrouve dans les marchés ou dans nos déplacements. On craint fort car nous avons subi le pire là-bas et on croise ici le même type de personnes qui nous a attaqué là-bas et qui nous ont pris nos terres et causé notre déplacement ici. »
Mohammad, camp de Mornei, près d’Adré
« J’ai 24 ans actuellement. Quand j’étais au Soudan, je faisais des études supérieures de mathématiques, et je travaillais en même temps dans un centre de santé. Une semaine avant notre arrivée à Mornei, on était à Geneina. C’était le matin. Les milices nous ont attaqués. Chaque jour le conflit s’intensifiait dans la ville, si bien que nous avons été obligés de fuir. On a formé un petit groupe et on a fui dans une autre ville où nous sommes restés un mois. Mais, même là-bas, le nombre de décès augmentait chaque jour, alors on s’est sentis encore une fois obligé de fuir. Maintenant cette ville est tombée, le gouvernement a capitulé, les civils ont vécu des atrocités. Deux de mes frères sont morts. Là j’étais seule. Je suis partie chercher ma mère, mon père et mes autres frères. J’ai retrouvé tout le monde sauf mon père, que nous n’avons retrouvé que plus tard. Il était à l’hôpital, blessé à la jambe et à l’épaule. On est arrivés au Tchad il y a quelques mois. Ils distribuent des repas chauds mais nous sommes tellement nombreux à faire la queue, tu peux attendre pendant des heures, des jours, donc ça créé des tensions, c’est très difficile.
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Quand la saison des pluies a commencé, on nous a proposé de venir ici à Mornei. Comme il y a les services de base, on a accepté. Arrivés ici, ils nous ont donné un statut de réfugié, ils nous ont donné un abri, si tu es une grande famille d’au moins 10 personnes, ils te donnent deux abris. Nous avons reçu une distribution qui nous a permis d’un peu nous stabiliser. Je suis ici depuis un an et quatre mois. La première difficulté est l’insécurité. Il n’y a que cinq agents de sécurité compétents sur le camp. En tant que femme dans telle situation, on ne peut pas se sentir en sécurité. Je crains en permanence qu’il ne se passe un incident. »
Jeune fille, Camp de Mornei, près d’Adré
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« La situation globale s’est améliorée à Adré, car on est passé de 500 000 à un peu plus de 200 000 personnes. Mais il y a toujours de nouvelles arrivées de personnes et les gens ont besoin d’eau et de latrines. C’est pourquoi nous avons fait ce forage. Il peut subvenir aux besoins de 200 000 personnes. L’idée est qu’il puisse couvrir les besoins de la population réfugiée mais aussi de la population hôte, car le camp est temporaire. Quand il sera évacué, le forage servira à approvisionner la population hôte en eau.
Sur les points d’eau que SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a mis en place, on est à peu près à 45 000 usagers qui bénéficient de 15 litres chaque jour. Mais les besoins ne sont pas couverts. Il faudrait augmenter la capacité, faire plus de points d’eau, d’ouvrages d’hygiène et d’assainissement. »
Adam, responsable eau, hygiène et assainissement pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, Adré
Au Soudan du Sud, des réfugiés soudanais et des retournés
Le Soudan du Sud est le plus jeune État du monde. Il a été créé en 2011 en se désolidarisant du Soudan à la suite de décennies de conflits. Le jeune État a été le théâtre d’une guerre civile de 2013 à 2018. Pendant cette période, de très nombreux Sud Soudanais s’étaient réfugiés au Soudan pour fuir les conflits. Si aujourd’hui la guerre civile a pris fin, la situation politique demeure instable et la situation humanitaire reste des plus fragiles. Ainsi, le Soudan du Sud est le dernier pays au monde en termes d’indice de développement humain. Malgré des inondations saisonnières catastrophiques qui plongent sous l’eau 15% du territoire et attisent une insécurité alimentaire déjà critique, le Soudan du Sud accueille 878 000 personnes fuyant l’éclatement des violences au Soudan. Parmi ces personnes, la plupart sont des Sud Soudanais qui s’étaient réfugiés au Soudan entre 2013 et 2018, et qui n’ont désormais d’autre choix que de revenir au Sud Soudan. L’odyssée de ces personnes, que l’on appelle “les retournés” et qui subissent pour la seconde fois au moins l’épreuve des déplacements, est à découvrir ici. Leurs épreuves se poursuivent malheureusement, une fois arrivées à destination.
« Je m’appelle Sibilia, je suis de Khartoum, au Soudan, où je travaillais comme vendeuse de thé. J’ai 60 ans. Je suis venue ici à cause de la guerre qui a touché Khartoum l’année dernière. Je suis partie pour chercher un endroit sûr où vivre avec mes enfants. On est arrivés en camion dans un premier endroit, au Soudan. Puis nous avons senti que la situation s’aggravait encore et nous avons décidé d’aller au Soudan du Sud. Ici, les humanitaires nous ont accueillis dans ce camp de transit. Ils maintiennent les latrines propres. Ils nous forment aux pratiques d’hygiène.
Le problème c’est qu’il n’y a rien à manger. Je suis vieille, je suis malade. J’ai besoin de médicaments, et on manque de nourriture. Certains de mes enfants sont restés au nord de Khartoum. D’autres sont ici avec moi. Notre condition est très mauvaise. Parfois ils vendent les vêtements qu’ils ont sur le dos pour de la nourriture.
© Hillary Bébé Joel / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
Notre abri, aussi, devient hors d’usage. Il a été construit l’année dernière, mais avec la pluie, il ne tient plus. Il pleut même à l’intérieur.
Je veux pouvoir partir car on ne sait pas quand finira la guerre à Khartoum. Mes enfants ne reçoivent pas d’éducation. Je voudrais partir n’importe où, mais hors du Soudan du Sud, pour que mes enfants puissent étudier. »
Sibilia, à Renk
© Hillary Bébé Joel / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
« La situation ici est vraiment terrible. On dort par terre. Nous n’avons ni matelas, ni lit, ni même d’abri décent ou de nourriture. Il y a des voleurs. Des gens se sont introduits chez nous il y a quelques jours. Ils ont pris nos affaires. La vie est dure dans le camp de transit. C’est difficile de rester ici. Il n’y a pas d’école pour les enfants, pas de marché, rien pour cuisiner. Je veux rejoindre ma sœur à Juba. C’est ma destination finale. J’espère y être lundi. »
Gisma, à Malakal
« Je m’appelle Waleed Abashan. Je suis du Soudan. Je suis arrivé l’année dernière, en août 2023 et j’ai décidé de rester ici, dans le camp de transit. Je suis handicapé. Je ne possédais déjà rien à Khartoum, et le voyage a été très difficile pour moi. Ça m’a pris huit jours pour arriver, avec des camions et d’autres véhicules. Personne ne peut imaginer un voyage pareil. Je ne savais pas du tout dans quoi je m’embarquais. J’ai vu des corps morts, j’étais complètement perdu.
Ici je suis seul. Mais au moins ici, je me sens comme un être humain. Je peux dormir sans avoir peur. Quand je suis arrivé, c’était tellement difficile, je ne pouvais plus dormir. Ici, on n’entend pas de coup de feu, pas de bombardement. Je n’ai pas peur, mais il reste beaucoup de difficultés. Comme je suis handicapé, je ne peux pas aller chercher l’eau, alors que c’est la chose la plus importante pour vivre. Une personne doit aller en chercher pour moi. Je suis dépendant de la bonne volonté des gens.
© Hillary Bébé Joel / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
Si la guerre cesse un jour au Soudan, je voudrais y retourner. Mais pour l’instant, ça n’est pas possible. Mon pays me manque. Être réfugié, ça n’est pas une chose facile. »
Waleed Abashan, à Renk
© Hillary Bébé Joel / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
« Je m’appelle Mary, j’ai 50 ans. Je fais partie des retournés. Originellement, je suis de Malakal. J’ai passé cinq ans dans un camp de réfugiés au Soudan avant de revenir au Sud Soudan. Je n’ai plus d’endroit où aller à présent. Même si la paix revenait au Soudan, je resterais ici. Je vais essayer de me construire un abri et de rester par ici si c’est possible. »
Mary, à Malakal
« Je m’appelle Daniel, j’ai 50 ans. Avant le conflit au Sud Soudan, j’étais chauffeur au ministère de l’éducation. Quand le conflit sud soudanais a démarré en 2013, tout a changé. Je suis parti de Malakal, on a traversé la rivière pour venir à Wau Shilluk, puis nous sommes venus au PoC⁴ de Malakal. Ça fait donc 10 ans que nous sommes ici.
Depuis tout a changé. La vie est devenue difficile. On se bat pour faire pousser quelques légumes, pour que les enfants survivent. Certains vont pêcher, et à leur retour de pêche, ils apprennent qu’un massacre a eu lieu en leur absence. Mais que faire ? La vie doit continuer. »
Daniel, à Malakal
© Hillary Bébé Joel / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
© Hillary Bébé Joel / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL
« On n’a plus de bâches en plastique pour réparer les abris. Il n’y a pas assez de nourriture à la maison, pas assez de latrines dans le PoC. Pas d’accès aux soins. Mais on ne peut pas vivre hors du PoC à cause de l’insécurité. On risque notre vie si on sort, pour des questions ethniques. C’est pourquoi on reste dans le PoC, sous la protection des Nations Unies. »
Daniel, à Malakal
Le Soudan subit depuis avril 2023 un conflit intérieur qui confronte ses habitants à de nombreuses violences et à leurs conséquences : la vulnérabilité, la perte des revenus, le manque de nourriture, d’eau potable, etc… L’accumulation des difficultés érode la résilience de la population qui a besoin d’un soutien humanitaire pour survivre.
Les 14 millions de personnes contraintes par les violences de fuir leur foyer ont créé une crise de déplacements d’ampleur régionale. L’aide humanitaire doit donc faire face à un défi immense dans des conditions particulièrement néfastes au travail.
Présente au Soudan, au Tchad et au Soudan du Sud, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL œuvre à l’acheminement de l’aide humanitaire jusqu’aux personnes les plus vulnérables. Mais en dépit de son accès à des zones qui le sont difficilement, les opérations de l’ONG sont parfois entravées par le niveau général de violence et d’insécurité.