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Crise alimentaire mondiale : va-t-on apprendre de nos erreurs ?

Publié le mardi 20 septembre 2022

L’effroi. Voici le sentiment que nous, acteurs humanitaires, ressentons face à la crise alimentaire mondiale sans précédent qui secoue la planète. Le constat est sans appel et les projections plus effrayantes les unes que les autres.

Le nombre de personnes ayant besoin d’aide alimentaire augmente partout, même dans les pays à fort revenu. En 2021, les niveaux de la faim dans le monde ont dépassé tous les records antérieurs, avec 828 millions de personnes souffrant de la faim, soit 150 millions de plus qu’en 2019*. L’année 2022 s’annonce déjà comme un nouveau record : on estime à un peu plus d’un demi-million le nombre de personnes qui se trouveront en situation de famine et en danger de mort d’ici la fin de l’année**, soit l’équivalent de toute la population de la ville de Lyon qui risque de mourir de faim… Et cela va s’empirer dans les prochaines années si on ne réagit pas.

Soyons clairs, les organisations humanitaires peinent à répondre à ces besoins croissants, d’autant plus que l’assistance est de plus en plus coûteuse à mettre en œuvre, que ce soit à cause de l’augmentation du prix des denrées ou celle du pétrole pour les transporter. Face à cette situation, notre ONG, comme les autres organisations, tente de s’adapter en composant, par exemple, les paniers alimentaires distribués avec des denrées moins chères. Mais parfois aucune alternative n’est possible. Les acteurs humanitaires sont alors malheureusement obligés de réduire le nombre de personnes bénéficiaires de leurs actions. Richard Ragan, le directeur du Programme Alimentaire Mondial au Yémen, dans une interview à l’agence Reuters, décrivait ainsi la situation dans le pays : “Nous prenons la nourriture des pauvres pour nourrir les affamés”.

Alors, que faire pour sortir du cercle vicieux dans lequel nous sommes englués depuis tant d’années ? 

Si nous en sommes arrivés là, c’est par l’entrechoquement de crises successives : sécheresses intenses, pauvreté endémique, conflits armés, et inondations soudaines se sont lentement conjugués les uns aux autres et ont mis en péril des populations entières. La pandémie de Covid-19 a perturbé les systèmes alimentaires du monde entier, entraînant une augmentation généralisée des prix des aliments. La guerre en Ukraine n’a fait qu’exacerber cette situation. Les perturbations qu’elle a générées dans les chaînes d’approvisionnement des céréales, des fertilisants et du pétrole ont entraîné des spéculations et une flambée des prix. Concrètement, la population perd du pouvoir d’achat pour s’alimenter tandis que les agriculteurs peinent à produire les denrées alimentaires nécessaires.

> Lire l’analyse de la crise alimentaire & ses liens avec la guerre en Ukraine

Il s’agit donc de repenser l’agriculture et les pratiques alimentaires.

Julie Mayans, Référente pôle Sécurité alimentaire et Moyens d’existence de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, en témoigne : « Depuis longtemps déjà, de nombreux économistes et spécialistes de l’environnement s’accordent à dire, pour des raisons différentes mais complémentaires, que la manière dont le monde cultive, commercialise et consomme la nourriture n’est pas viable sur le long terme. Il faut se réapproprier les aliments locaux, ne pas consommer en excès les produits carnés ou laitiers, lutter contre le gaspillage alimentaire, diversifier la production agricole et développer ces filières localement, utiliser des engrais organiques, mettre en place des systèmes d’irrigation moins énergivores… Ces solutions durables existent et sont connues. Quelle frustration de constater qu’elles sont peu mises en place, alors qu’elles préviennent les situations d’insécurité alimentaire et de famine !

Chez SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, nous formons par exemple les agriculteurs à la fabrication et l’utilisation de biopesticides et du compost en République Centrafricaine, au Cameroun mais aussi au Myanmar ou encore au Venezuela. Nous aidons aussi les pêcheurs à mieux transformer, conserver et commercialiser localement leurs poissons au Bangladesh et au Soudan du Sud. En plus de permettre une agriculture plus durable, ces solutions participent à la lutte contre le dérèglement climatique qui est un facteur majeur de la crise en cours. »

Mais ces projets nécessitent souvent un certain investissement financier et surtout une véritable volonté de changer nos fondamentaux. On leur préfère donc la perpétuation des systèmes actuels, désastreux sur le long terme. Les gouvernements doivent repenser leurs politiques agricoles et doivent avoir pour objectif d’atteindre la souveraineté alimentaire***. On le voit nettement aujourd’hui, les aliments sont globalement disponibles mais les prix s’affolent et ce sont les plus faibles qui trinquent encore.

Nous jouons avec le feu. Le monde a montré sa fragilité et des personnes paient de leurs vies les conséquences de cette crise. Après un pic sans précédent du cours des céréales en mai dernier, la tendance est à la baisse. Cependant, cette accalmie est trompeuse car elle ne change rien au problème de fond. Elle ne doit pas servir de prétexte à l’inaction au risque de perpétuer un système alimentaire mondial dangereux.

Il est temps d’agir, ensemble. Se nourrir est un droit pour toutes et tous.

 

Antoine Peigney, Président de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL

 

*Rapport 2022 sur l’état de la sécurité alimentaire et la nutrition dans le monde (SOFI) The State of Food Security and Nutrition in the World 2022 | FAO | Food and Agriculture Organization of the United Nations

**Selon, les projections de la FAO (L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) dans sa classification IPC (Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire qui permet d’élaborer des scénarios de nombre de personnes en insécurité alimentaire dans le monde).

***La Souveraineté Alimentaire est « le droit des populations et des pays à définir leur propres politiques alimentaire et agricole, lesquelles doivent être écologiquement, socialement, économiquement et culturellement adaptées” (Sommet Mondial de l’Alimentation à Rome, 2002).

© Gwenn Dubourthoumieu