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Renaud Piarroux : le choléra en Haïti et la Covid-19 à Paris, pas si différents que ça !

Publié le mardi 16 mars 2021

Article extrait de notre Baromètre de l’Eau, de l’Assainissement et de l’Hygiène 2021

Par Renaud Piarroux, épidémiologiste.

Renaud Piarroux est chef du service de parasitologie-mycologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et professeur à la faculté de médecine Sorbonne Université. Spécialiste mondialement reconnu des épidémies de choléra et acteur de la lutte contre la Covid-19*, il a accepté pour SOLIDARITÉS INTERNATIONAL de livrer son analyse de la crise sanitaire actuelle. À ses yeux, un lien peut être tissé entre l’expérience de la lutte contre le choléra en Haïti et celle du combat qui se joue depuis plusieurs mois contre la Covid-19 en France.

Faire le rapprochement entre l’épidémie de choléra en Haïti et la vague de Covid-19 à Paris peut paraître surprenant tant les deux situations semblent ne rien avoir en commun : les agents en cause (bactérie versus virus), les signes cliniques et les traitements ne sont pas les mêmes, tout comme les modes de propagation, à l’exception de la transmission par les mains, commune aux deux maladies. Le contexte, surtout, est complètement différent. D’un côté une maladie associée au sous-développement survenue dans un contexte d’effondrement politique, économique et social, de l’autre une épidémie frappant une riche métropole d’Europe dans un contexte social tendu certes, mais ne remettant pas en cause la stabilité globale de la société. Pourtant, au-delà de ces différences essentielles, de nombreuses similitudes existent entre les deux catastrophes.

 

L’expérience de la controverse haïtienne

L’épidémie de choléra a frappé Haïti en octobre 2010 alors que le pays était déjà mis à l’épreuve par un tremblement de terre particulièrement meurtrier (entre 100 000 et 300 000 morts) survenu huit mois plus tôt. En seulement quelques jours, les cas de choléra ont explosé le long de l’Artibonite, principal fleuve d’Haïti. Bien que les investigations épidémiologiques aient rapidement identifié le point de départ à proximité immédiate d’un camp de casques bleus tout juste arrivés du Népal alors en proie au choléra, l’hypothèse d’une importation du dangereux microbe par les soldats a immédiatement été écartée par les experts de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) et diverses agences de l’ONU.

Des universitaires étasuniens sont alors montés au créneau pour abonder dans ce sens et rattacher cette épidémie au réchauffement climatique et à l’émergence de la bactérie responsable à partir des eaux saumâtres du delta de l’Artibonite. Au fil du temps, cependant, cette thèse a été démentie par des études épidémiologiques et par la comparaison des génomes des souches isolées lors des épidémies au Népal et en Haïti. Les preuves scientifiques de la responsabilité des soldats de l’ONU s’accumulant, la thèse climatique est apparue de moins en moins crédible, fragilisant le discours des experts de l’OPS et des universitaires appelés en renfort, ainsi que le positionnement de l’ONU, niant toute responsabilité dans la catastrophe.  Ce n’est que six années plus tard, que Ban Ki-moon, alors secrétaire général de l’ONU, reconnut implicitement la responsabilité de son organisation et présenta ses excuses au peuple haïtien.

Faute de consensus politique et scientifique, les actions de lutte ont mis des années à s’organiser

Cette controverse sur l’origine de l’épidémie, associée à la défiance de nombreux haïtiens vis-à-vis de l’ONU comme de leurs gouvernements successifs ont entravé l’instauration d’un climat de confiance dans la mise en place des activités de lutte contre le choléra. Faute de consensus politique et scientifique sur la stratégie à adopter, les actions de lutte, en particulier basées sur l’intervention d’équipes mobiles chaque fois qu’un nouveau cas était détecté, ont mis des années à s’organiser et à être mises en œuvre de manière satisfaisante.

De ce fait, l’épidémie s’est poursuivie année après année sous forme de vagues successives séparées par des périodes d’accalmie relative. La lutte n’a finalement connu un tournant favorable qu’à la fin de l’année 2016, lorsque par ses excuses, Ban Ki-moon a remis le combat contre le choléra à l’agenda politique de la communauté internationale. Deux ans plus tard, en février 2019, le dernier foyer de choléra était éteint à proximité du delta de l’Artibonite. Depuis, plus aucun cas de choléra n’a été diagnostiqué en Haïti.

 

L’importance de la confiance et du rôle des populations

Une maladie meurtrière sévissant sous forme de vagues successives dans un contexte de défiance de la population vis-à-vis des autorités politiques, une controverse scientifique sur l’origine puis sur le devenir de l’épidémie et les moyens d’y mettre fin, une perte de crédibilité des experts soupçonnés de cacher la vérité et de poursuivre d’autres buts que d’informer objectivement, et finalement une grande difficulté à mettre en place une stratégie cohérente et des activités de lutte efficaces : on voit bien ici que la crise sanitaire et sociétale provoquée en France par la Covid-19 comporte de nombreuses similitudes avec l’épidémie de choléra en Haïti. Dans ce contexte, deux points méritent d’être soulignés car ils conditionnent le succès ou l’échec de la lutte contre la Covid-19 durant les mois qui viennent, du moins tant que la population n’est pas vaccinée.

Le premier est la nécessité impérieuse d’instaurer une relation de confiance entre la population et les autorités scientifiques et politiques impliquées dans la conception et la mise en œuvre des activités de lutte contre une épidémie. À l’évidence, en Haïti comme en France, cette relation a très vite été altérée par les incohérences, et parfois les mensonges, dans les discours prononcés au fil du temps par certains experts et décideurs.

Face à une faute sanitaire à l’origine d’une épidémie – cas de l’introduction du choléra en Haïti – ou mettant en péril la réponse à l’épidémie – cas de l’impréparation et du manque de matériel de protection pour faire face à la Covid-19 en France – la tentation a été grande de dissimuler la vérité et de chercher des explications pseudo-scientifiques permettant d’éluder la question. En Haïti, l’accent a été mis sur le contexte environnemental, la pauvreté du pays et l’absence de respect des gestes d’hygiène par la population. En France, il a été expliqué que la population n’avait pas besoin de masques ni d’autres moyens de protection. Pas même des masques en tissus que nous aurions pu produire très rapidement. En politique, il est conseillé, semble-t-il, de ne jamais reconnaître ses erreurs. Cela permet de ne pas perdre l’avantage sur l’adversaire. Notons simplement ici que lorsque l’adversaire est un virus, cette attitude a un coût faramineux en termes de vies humaines.

De plus, comme ces erreurs ne peuvent être dissimulées indéfiniment, les occulter débouche sur des controverses alimentant des discours complotistes et sapant la confiance d’une part croissante de la population. Les consignes passées pour enrayer la propagation de l’épidémie sont alors mal respectées, la situation se dégrade. L’épidémie s’enlise.

Face au choléra comme à la Covid-19, ce sont les gens qui respectent ou non les mesures d’hygiène et les gestes barrières

Le deuxième point porte sur le rôle central que la population joue dans la maîtrise des épidémies. Face au choléra comme à la Covid-19, ce sont les gens qui respectent ou non les mesures d’hygiène et les gestes barrières. Ce sont aussi eux qui décident, ou pas, d’aller se faire soigner, en particulier lorsqu’ils présentent des formes modérées de la maladie. Ce sont eux enfin, qui ouvrent, ou n’ouvrent pas, leur porte aux équipes chargées de lutter contre les épidémies. Et dans le cas de la Covid-19, c’est à eux qu’on demande de délivrer l’identité de leurs contacts, une étape incontournable pour casser les chaînes de transmission autour des cas.

 

L’atout précieux des équipes mobiles

En Haïti, à force d’arpenter le terrain et d’apporter à chacun les moyens qui lui manquaient pour se protéger contre le choléra, les équipes mobiles ont peu à peu inspiré la confiance des gens. Nous avons pu vérifier, lors de tournées de supervision, que les consignes d’hygiène étaient bien comprises et respectées dès lors qu’il devenait possible de les appliquer. Les équipes mobiles ont développé un savoir-faire et se sont forgées une réputation. L’impact de leurs interventions s’en est trouvé augmenté. En France, la stratégie d’équipes mobiles intervenant auprès des malades et de leurs familles en est encore à ses balbutiements. Jugée initialement trop complexe à mettre en œuvre, elle n’a pu être implémentée qu’à Paris (COVISAN), à Cayenne (YANACOV) et à Marseille (CORHESAN), et encore, en ne couvrant qu’une partie limitée de ces trois agglomérations. Face à la lassitude des gens et la défiance envers un pouvoir central jugé déconnecté du terrain, ces équipes constituent pourtant un atout précieux pour aider la population à s’organiser contre l’épidémie.

Le cas du choléra en Haïti et de la Covid-19 ne sont finalement pas si différents. D’ailleurs, il existe une filiation directe entre la stratégie des équipes mobiles en Haïti et à Paris. C’est en effet sur le modèle de la lutte contre le choléra en Haïti et avec l’aide d’un ancien Directeur pays de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL que la première antenne COVISAN a été lancée en avril dernier à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière.

* Renaud Piarroux est l’auteur de deux ouvrages : Choléra. Haïti 2010-2018, histoire d’un désastre (2019) et La vague. L’épidémie vue du terrain (2020).

 

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DE L’EAU, DE L’ASSAINISSEMENT ET DE L’HYGIÈNE

 

Photo © Gwenn Dubourthoumieu / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL