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L’eau potable et l’assainissement pour tous en 2030, rêve ou réalité ?

Publié le mercredi 4 mars 2015

DÉBAT – À l’occasion de la publication de ce premier Baromètre de l’Eau, Alain Boinet, fondateur de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, a rencontré Gérard Payen, membre du Conseil pour l’eau et l’assainissement du secrétaire général des Nations unies (UNSGAB). Discussion entre un humanitaire et un expert international, pour qui l’accès à l’eau et à l’assainissement est une priorité majeure.

 

ALAIN BOINET : Les Etats membres de l’ONU se préparent à définir, en septembre prochain, de nouveaux objectifs de développement pour la période 2015-2030. Mais avons-nous vraiment atteint les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) entre 2000 et 2015 ? Chez SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, nous avons des doutes à ce sujet.

GÉRARD PAYEN : Depuis 2000, près d’un milliard et demi de personnes supplémentaires ont eu accès à des sources d’eau améliorées. En ce qui concerne l’assainissement, on estime qu’entre 2000 et 2014, près d’1,3 milliard de personnes ont gagné un accès à des toilettes décentes. Si ces chiffres sont énormes, il faut être conscient que la population mondiale croît rapidement. Il faut donc regarder également ceux qui n’ont pas encore accès à l’eau potable et à des toilettes décentes. Ils sont toujours plusieurs milliards.

AB : Justement, je me souviens que nous avons ensemble interpelé les Nations-Unies sur la réalité des chiffres et des progrès annoncés pendant de nombreuses années. Et pourtant l’ONU a voté une résolution en juillet 2010 faisant de l’accès à l’eau potable un droit humain. Nous en sommes loin !

GP : En matière d’eau potable, la situation s’est bien améliorée pendant la période OMD. Le nombre de personnes qui partagent leurs sources d’eau avec des animaux (sources dites “non améliorées ”), s’est réduit depuis 1990, passant de 1,2 milliard à moins de 800 millions. Le progrès est net. En m atière d’assainissement, le progrès est également substantiel. Mais il y a toujours 2,5 milliards de personnes qui n’ont pas de toilette décente. Et grâce à une méthodologie mise au point par l’UNICEF et l’OMS, on sait aussi désormais qu’il y a au moins 2 milliards de personnes qui utilisent de l’eau contaminée par des matières fécales et donc dangereuse pour leur santé. Enfin, même si l’estimation est tout à fait imprécise, il y a entre 3 et 4 milliards de personnes dont les droits de l’homme en matière d’accès à l’eau potable ne sont pas satisfaits.

AB : Si l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est pour nous une urgence humanitaire, c’est d’abord parce que les maladies dites hydriques provoquées par l’eau insalubre tuent chaque années des millions d’êtres humains, principalement des enfants. Je suis surpris que l’on n’en parle pas plus. Y a-t-il des chiffres sur la réduction de cette hécatombe silencieuse ?

GP : Les progrès constatés en matière d’eau potable et d’assainissement ont un impact majeur sur la mortalité, en particulier sur la mortalité infantile. On estime que, malgré l’augmentation de 15 % de la population, le nombre annuel de décès dus aux diarrhées et aux maladies liées comme le choléra a été réduit d’un tiers entre 2000 et 2012. Il en résulte une baisse sensible du nombre annuel de décès liés à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement aujourd’hui réduit à 2,6 millions.

« Entre 3 et 4 milliards de personnes dont les droits humains ne sont pas respectés »

AB : Les progrès dont tu fais état ne sont pas également répartis dans le monde, et entre zone rurale et urbaine. Nous constatons nous-mêmes ces distorsions sur le terrain dans nos missions.

GP : C’est vrai, les besoins sont plus importants en milieu rural. Mais les progrès y sont no¬tables. Là où le bât blesse, c’est la course poursuite entre la croissance urbaine et l’amélioration des services d’eau et d’assai¬nissement en ville. Elle est aujourd’hui per¬due par les pouvoirs publics, dans la mesure où il y a davantage de personnes sans accès à un robinet d’eau potable et à des toilettes décentes en ville qu’il y a 10 ans.

AB : En septembre 2015 seront votés aux Nations Unies les nouveaux Objectifs du développe¬ment durable (ODD). à ce stade, 17 objectifs ont été retenus, dont un ODD pour l’eau qui cible en particulier l’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement, objectif pour lequel nous nous sommes beaucoup battus avec le Partenariat Français sur l’Eau (PFE). N’y a-t-il pas un risque de le voir oublier dans la version finale ?

GP : Je suis assez confiant. La cible proposée aujourd’hui par la majorité des gouvernements est d’atteindre, à l’horizon 2030, l’accès universel à une eau véritablement potable dans des conditions satisfaisantes. Une autre cible envisagée est l’accès universel à des toilettes décentes. Ces deux cibles sont très ambitieuses. J’espère cependant qu’elles seront retenues car des milliards de personnes en ont besoin.

« Les gouvernements qui fixent l’accès à l’eau potable et l’assainissement comme priorité majeure y arrivent »

AB : Mais cet objectif affiché ne risque-t-il pas de rester lettre morte, à l’image de la résolution de l’ONU en juillet 2010, faisant de l’eau potable un droit humain ? Il faut passer de la déclaration d’intention à la réalisation.

GP : Le progrès vers l’ODD Eau va être mesuré. Cet ODD va ainsi devenir un outil opérationnel qui va pousser à une meilleure satisfaction de ce droit de l’homme. Pour atteindre les cibles qui vont être adoptées en septembre 2015, il faudra une accélération des politiques nationales. Les cadences actuelles ne seront pas suffisantes. Pour l’accès universel à l’eau potable, il va falloir, en 15 ans, améliorer le sort de 2 milliards de personnes. Pour l’accès aux toilettes, il va falloir faire, d’ici 2030, ce qui jusqu’à présent était pas estimé envi¬sageable avant la seconde moitié du siècle.

AB : Mais le diable se cache souvent dans les détails… Et les conditions et les contraintes ne manqueront pas d’être évoquées, tels les indicateurs de référence et les ressources financières nécessaires. Comment réunir les moyens de ces objectifs ?

GP : Pour l’eau potable et l’assainissement, c’est clairement une question de priorité dans les budgets nationaux. Les gouvernements qui fixent l’accès à l’eau potable et l’assainissement comme priorité majeure y arrivent. Le coût de l’accès à l’eau n’est pas inabordable pour la plupart des pays. Dans les plus pauvres, il y a quand même une aide internationale importante. Ce n’est donc pas irréaliste. Mais il faut une véritable volonté politique à tous les niveaux.

« Il y a plus d’urbains sans accès à un robinet d’eau potable et à des toilettes décentes qu’il y a 10 ans »

AB : Je constate que les situations humanitaires de guerre et de catastrophe sont le plus souvent oubliées des politiques de développement. Elles concernent pourtant des dizaines de pays et des centaines de millions d’êtres humains dans les pires situations. Cela doit changer. Qu’en penses-tu ?

GP : Concernant les catastrophes, il est probable qu’une cible ODD visera la réduction des pertes humaines et économiques qu’elles occasionnent. Aujourd’hui, on considère que plus de 80 % des catastrophes sont liées à l’eau. Le programme des ODD de¬vrait ainsi permettre de mieux répondre aux catastrophes liées à l’eau. Pour les zones de conflits, c’est autre chose et il faut les considérer dans le cadre de l’ODD dédié à la paix.

GÉRARD PAYEN est membre du Conseil pour l’eau et l’assainissement du secrétaire général des Nations unies (UNSGAB) travaille depuis plus de 30 ans à la résolution de problèmes liés à l’eau. Président d’AquaFed, la fédération internationale des opérateurs privés de services d’eau, il est également membre de (re)sources, un Laboratoire d’idées dédié à l’eau et l’énergie qui réunit professionnels de l’eau et de l’énergie, universitaires, personnalités politiques, responsables d’ONG et d’organisations internationales.