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La carte des tensions liées à l’eau

Publié le mercredi 4 mars 2015

ANALYSE – Auteur de plusieurs ouvrages sur la géopolitique de l’eau, Franck Galland commente la carte des tensions liées à l’eau tirée de l’ouvrage de David Blanchon, Atlas Mondial de l’eau paru aux éditions Autrement.

CATALYSEUR DE CONFLITS

Comme on le constate sur la carte, il existe une « diagonale de la soif » de Gibraltar au Nord-Est de la Chine, soumise à un énorme stress hydrique, ainsi qu’à des tensions pro¬voquées par le manque d’eau de surface. Sur cet axe, un habitant dispose en moyenne de réserves de moins de 500 m3 d’eau par an, un seuil en deçà duquel toute logique de développement économique et sociale d’un pays est sérieusement compromise. L’eau dans ces régions est un catalyseur de conflit qui s’ajoute à d’autres causes : ethniques, religieuses, politiques ou économiques.

TENSIONS LIÉES À LA RESSOURCE

Les guerres de clans autour d’un puits sont nombreuses, notamment au Yémen dont la capitale Sanaa ne dispose plus que de 120 m3 par an et par habitant en termes de ressources. En revanche, il n’y a pas aujourd’hui de guerre à cause de l’eau et de l’eau seule. Il risque pourtant d’y avoir de forts conflits frontaliers notamment entre l’Egypte et l’Ethiopie. La construction du barrage Renaissance en Ethiopie d’ici 2017, qui deviendra la plus grande réserve d’eau douce d’Afrique, devrait réduire le débit du Nil égyptien qui fournit 98 % de l’eau consommée dans le pays. Les Egyptiens ne se laisseront pas faire. Le cas de la Jordanie, pour l’heure encore zone de stabilité au Proche Orient, est aussi à surveiller de près. Pour alimenter une ville comme Amman, déjà plus grande ville de réfugiés au Monde, on est aujourd’hui contraint d’aller chercher de l’eau fossile de la nappe de Disi située à 400 km. Le coût énergétique de ce transfert est très important dans un pays qui manque portant cruellement de ressources fossiles.

TENSIONS LIÉES À LA POLLUTION

La contamination de l’eau par des polluants industriels provoque aussi des tensions régionales. En 2005, l’explosion d’une usine chimique en Chine a entraîné la pollution du fleuve Songhua qui se jette dans le fleuve Heilongjiang, fleuve Amour en Russie. L’inci¬dent oblige alors les villes fluviales à couper temporairement l’approvisionnement en eau de 3,8 millions d’habitants et entraîne de fortes tensions diplomatiques entre les deux pays.

RÉFUGIÉS CLIMATIQUES

Les réfugiés climatiques ne sont pas exclu¬sivement des populations côtières devant fuir la montée des eaux. Il y a aussi ceux qui manquent d’eau. 4 milliards d’individus seront soumis à un stress hydrique d’ici 2025, contre 400 millions en 1995. Au Yémen ou en Somalie, par exemple, la rareté de l’eau va de toute évidence engendrer des réfugiés climatiques. Même chose en Syrie ou en Lybie avec les conséquences des guerres civiles dans des pays où l’approvisionnement en eau était déjà très sensible avant que les conflits n’éclatent.

INVESTIR POUR S’EN SORTIR

Malgré tous ces problèmes, la situation n’est pas une fatalité. Les pays qui investissent dans des infrastructures d’approvisionne¬ment arrivent à s’en sortir. Citons l’Algérie partant pourtant avec un sérieux handicap dû à la guerre civile des années 90 et à des années de sous-investissement. La Chine fait également partie de ces acteurs qui trouvent des solutions (dérivation, désalinisation…) malgré une démographie galopante et des ressources en eau relativement rares dans certaines régions.

BIO : FRANCK GALLAND est diplômé en affaires internationales de l’Ecole Supérieure de Commerce de Marseille. Expert reconnu des questions sécuritaires liées aux ressources en eau, il est l’auteur de deux ouvrages remarqués : L’eau : géopolitique, enjeux, stratégies (CNRS Editions, sept. 2008) et Eau & conflictualités (Editions Choiseul, janv. 2012)