Par Gérard Payen, Vice-président du Partenariat Français pour l’Eau et ancien Conseiller pour l’Eau du Secrétaire général des Nations unies (UNSGAB)
En septembre 2019, afin d’atteindre les Objectifs mondiaux de développement durable (ODD) en 2030, les États membres des Nations unies ont décidé d’accélérer leurs efforts et ont déclaré 2020-2030 “décennie d’action et de résultats”. Cette volonté d’accélération ne concernait pas les actions liées à l’eau. Au contraire, s’appuyant sur des rapports peu alarmistes des agences onusiennes, les États se sont même félicités de leurs progrès en matière d’eau potable.
Depuis, UN-Water a fait de gros progrès en matière de statistiques. La connaissance des enjeux s’est bien améliorée avec, en particulier mi-2021, des rapports fournissant des estimations quantitatives sur la quasi-totalité des dix indicateurs ODD relatifs à l’eau. Ces nouvelles données montrent de façon plus claire les énormes besoins et la lenteur des progrès. Il n’est plus question de minimiser ou nier les problèmes.
Les agences onusiennes ont enfin réagi. Lors d’une réunion de tous les ambassadeurs à New York, le 18 mars 2021, elles ont martelé publiquement le message selon lequel les États devaient “quadrupler le rythme de leurs efforts” dans le domaine de l’eau. “Quadrupler”, ce n’est pas anodin. Ce n’est pas 5 ou 10 %. C’est une accélération colossale d’une ampleur quasiment jamais constatée dans les actions publiques. Pour quadrupler, il est nécessaire de réviser toutes les politiques publiques, de dresser des plans d’action avec des objectifs précis et des étapes intermédiaires et, bien entendu, de mobiliser des moyens adaptés bien supérieurs aux moyens actuels.
Hélas, depuis l’adoption des ODD en 2015, sauf exception dont je n’ai pas connaissance, les politiques publiques relatives aux ressources en eau, à l’accès à l’eau et à l’assainissement, à la gestion des pollutions hydriques n’ont été modifiées jusqu’à présent que de façon marginale. L’accélérateur ne semble avoir été enfoncé nulle part. Les statistiques mondiales montrent des progrès lents et très relatifs.
Ainsi, le nombre de personnes sans accès à de l’eau non contaminée était-il de 2 milliards en 2020, en réduction de moins de 0,2 milliard sur 5 ans. Une poursuite au même rythme de 2020 à 2030 laisserait au moins 1,4 milliards d’êtres humains sans eau potable en 2030, date qui est pourtant prévue par l’Agenda 2030 pour l’accès “universel”, c’est-à-dire l’accès de tous à de l’eau véritablement potable. Pire, l’accès à l’eau potable régresse dans certaines parties du monde comme dans sa moitié urbaine ou en Afrique subsaharienne. Par ailleurs, aucun pays ne semble s’être approprié l’objectif collectif de réduire de moitié entre 2015 et 2030 les flux de pollution rejetés par ses eaux urbaines.
ALORS, QUI VA APPUYER SUR L’ACCÉLÉRATEUR ET QUAND ?
Évidemment, les actions liées à l’eau sont locales et souvent du ressort des autorités locales. Mais dans notre monde interconnecté, ces actions locales doivent s’inscrire dans une vision plus large, allant au-delà même des frontières nationales. En effet, les interdépendances sont nombreuses, que ce soit par le biais des bassins hydrographiques ou par celui des importations de produits commerciaux qui permettent à de nombreux pays d’utiliser à leur profit l’eau disponible dans d’autres pays. Les États ont donc un rôle important à jouer, chez eux et entre eux. À l’international, il leur arrive de se rencontrer pour parler de sujets liés à un aspect de l’eau mais ces rencontres ne traitent que très rarement de l’ensemble des enjeux de l’eau. Ainsi, par exemple, les États n’ont pas encore trouvé le temps de discuter sérieusement de leurs progrès vers les 20 cibles ODD liées à l’Eau.
Cependant, comme je l’écrivais dans ce baromètre l’an dernier, une séquence diplomatique exceptionnelle s’est ouverte fin 2019 dans la perspective d’une grande conférence organisée par l’ONU sur l’eau en mars 2023. Les États se sont déjà rencontrés en mars 2021 à New York et en juillet 2021 à Bonn en Allemagne. Ils vont se retrouver à Dakar lors du 9e Forum mondial de l’eau puis encore au moins trois fois avant mars 2023. Si les étapes intermédiaires sont importantes, les prises de décisions ne pourront se faire que lors de la conférence de 2023. Vont-ils saisir cette rare occasion de décider d’agir et d’appuyer sur les nombreux accélérateurs à leur portée ?
© Vincent Tremeau