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Kenya : résister au manque mortel d’eau et de nourriture

Publié le vendredi 19 août 2011

Renaud Douci, responsable des publications et des relations presse, revient du Kenya où il a suivi nos équipes dans les bidonvilles de Nairobi, puis dans le nord, où sévit la sécheresse.

J1 – Des jardins dans des sacs

Deux gigantesques panneaux de publicité se dressent de chaque côté de ce qui semble bien être l’entrée principale de Kibera, tristement classé plus grand bidonville d’Afrique devant Soweto.

« Venues de tout le pays, plus d’un million de personnes vivent ici, explique Marion Ng’ang’a, assistante technique de SOLIDARITES INTERNATIONAL, soit la moitié des habitant de Nairobi. Depuis la dernière sécheresse de 2009, ils sont même 200 000 de plus à s’y être installés. Ils construisent leurs maisons avec de la terre, les couvrent d’un toit en tôle et s’y entassent avec leur famille dans des conditions insalubres, sans eau. Le plus souvent, ils travaillent à la journée, pour un dollar ou deux. »

C’est dans ce labyrinthe de ruelles que SOLIDARITES INTERNATIONAL mène, depuis 2008, des programmes de sécurité alimentaire adaptés à la grande concentration de population et à la malnutrition galopante. Nos équipes ont développé un concept qui a fait ses preuves au Sud Soudan et en Afghanistan : le sac potager. Les innombrables artères de Kibera en sont fleuries. Aux portes d’entrée, dans les cours, à chaque recoin…

Il suffit d’un espace réduit pour que les familles y cultivent épinard, oignons, coriandre, pommes de terre, tomates et autres moringas, un arbre dont les feuilles sont particulièrement riches en protéines.

« Cette année, 76 000 sacs ont été distribués pour quelque 19 000 familles, calcule Winfred Mueni, coordinatrice du programme. Cela représente 2 hectares de sacs. A raison de 40 plantes par sacs, il aurait fallu 33 hectares pour en planter autant en pleine terre. »

Pour fabriquer un tel sac, rien de plus simple. Marion en fait la démonstration à deux documentaristes français qui consacrent à cet ingénieux procédé un des films qu’ils réalisent pour France 5 en prévision du Forum mondial de l’eau, en mars 2012 à Marseille.

« Il suffit de remplir le sac de terre, tout en prenant soin de disposer des pierres au centre, à l’aide d’une bouteille creuse, et ce jusqu’en haut du sac pour que l’eau aille bien jusqu’au fond, insiste-t-elle. Enfin, il faut trouer le sac pour y planter, de haut en bas, différentes plantes, afin de diversifier l’alimentation. »

Dans le labyrinthe du bidonville, le sac est devenu partie intégrante du décor. L’ONG a même installé une dizaine de jardins communautaires. Une équipe constituée de 10 à 20 personnes en est responsable.

« J’ai une famille de six enfants, confie Francis, la cinquantaine. Grace à ces sacs, je peux les nourrir et avec ce qu’il reste je dégage entre 3 et 5 dollars par semaine, de quoi acheter du riz par exemple. Et puis, je forme d’autres personnes. Un travail qui me donne une grande satisfaction. »

J2 – Un programme d’urgence en Somalie pour 150 000 personnes

Une petite pluie fine s’abat sur Nairobi. Il est 06h du matin quand Neville et Adama, son chauffeur, montent dans le pick-up qui doit les emmener au Nord Kenya. Ils espèrent éviter les interminables bouchons de la capitale et arriver avant la tombée de la nuit à Marsabit. C’est dans cette ville d’un millier d’âmes, au nord Kenya, qu’ils passeront la nuit avant de repartir sur le terrain. Une semaine auparavant, Neville s’est rendu à la base de Nairobi pour participer à l’élaboration d’un plan d’urgence d’envergure. Les responsables et les experts de SOLIDARITES INTERNATIONAL ont été dépêchés sur place. Résultats des évaluations, étude des modalités d’intervention… Pour répondre aux besoins des populations nord kenyanes et somaliennes touchées par une sécheresse exceptionnelle, l’ONG renforce ses activités qui bénéficient déjà à 100 000 personnes de part et d’autres de la frontière.

femme enfant kenyaUne première demande de financement a été lancée le 29 juillet. Afin de venir en aide à plus de 150 000 personnes du sud et du centre de la Somalie, Bérengère Tripon, responsable de nos programmes dans la Corne de l’Afrique, et ses équipes ont déposé un programme d’aide alimentaire et de distribution d’eau d’un montant de… 30 millions d’euros.

« Dans les régions de Bardera/Elwak, d’Almadow et d’Adaado, près de 150 000 personnes ont été identifiées par nos équipes sur place comme particulièrement vulnérables. Cette situation critique est due au manque d’accès à la nourriture, ainsi qu’à son prix élevé. Pour éviter que les gens ne partent de chez eux et grossissent ainsi le flot de déplacés et de réfugiés, il faut faire venir l’eau et la nourriture jusqu’à eux. »

Distribution d’eau potable, de nourriture, de coupons alimentaires, de kits hygiène… Ces opérations humanitaires d’urgence pourraient bénéficier à près de 25 000 familles si les grandes institutions internationales, le grand public, les entreprises et les collectivités territoriales se mobilisent. D’autres demandes de financement devraient être déposées dans le courant de la semaine pour des programmes similaires au Kenya.

Sur le trajet, la nature luxuriante, les vallées et les nuages laissent doucement place à un décor plat et aride. Alors que les montagnes pointent à l’horizon, les arbres se font rares. Ils semblent désormais se courber sous le poids d’un soleil de plomb. Majestueux il y a encore quelques heures, les voilà qui se transforment en buissons secs. Les forêts et les champs agricoles sont désormais bien loin, remplacés par le sable ocre paré de cailloux. Au loin, deux silhouettes qui laissent penser à un mirage émergent au milieu de la route. La présence de ces deux enfants en habit traditionnel, sortis de nul part mais bel et bien réels, annoncent la fin toute proche du bitume. Débutent alors près de trois heures de secousses brusques sur une piste poussiéreuse parsemée de trous, de pierres et de bosses, le long de laquelle les enfants courent, plusieurs jerricans d’eau à la main.

En voyant leur état de fatigue, Ibrahim, le responsable des programmes eau, hygiène et assainissement, laissent quelques répits à ses collègues. Mais dans une heure à peine, ils comptent bien leur présenter l’état d’avancée des chantiers que nécessite leur semaine passée loin du terrain.

J3 – Des points d’eau à plusieurs jours de marche

paysage aride kenyaAu bord de la piste, le vent de sable balaie violemment le squelette d’une vache. La bête se sera traînée jusqu’au pied du seul arbre à l’horizon pour mourir d’épuisement. Quelques kilomètres plus loin, Abou veille sur son troupeau. Les os saillants des bovins dont il a la charge se verront moins quand les animaux auront enfin bu à la source aménagée toute proche. En attendant son tour, il ne sait pas si toutes ses vaches auront la force de se relever.

C’est qu’ici, dans le désertique nord Kenya, pour aller chercher de l’eau, la distance ne se compte pas en kilomètres, mais en jours de marche. Abou, lui, en aura mis plus de deux. Déshydratées, les vaches souffrent aussi de la faim. Du coup, il ne reviendra pas avant 10 jours, contre 5 en temps normal. Et le bétail sera encore plus faible.

Aujourd’hui, Ibrahim entame son premier jour de tournée des chantiers en cours. Il commence par l’école de Torbi. Ahmad, le professeur de sciences et de mathématiques, veille sur des adolescents qui passent leur examen de fin d’année. Il fait partie du comité de gestion en charge du réservoir qui récupère l’eau du toit construit par SOLIDARITES INTERNATIONAL.

« Sans eau, pas d’éducation, dit-il. Dans une école, il faut pouvoir se laver les mains, boire, cuisiner pour manger. Sans cela, les enfants ne viennent -au mieux- que le matin. D’où l’importance de ce système. »

« Nous équipons également les villages isolés de réservoirs souterrains de 75 à 150 000 litres, ajoute Ibrahim, car ils sont très efficaces. A la moindre de pluie, placés en flanc de montagne, ils se remplissent très vite. »

Sur la route, notre équipe croisera ainsi des hommes, des femmes et des enfants en transhumance vers de lointains points d’eau. Sur le bord, d’autres cadavres de bêtes, dont des chameaux, pourtant les plus résistants. Dans certaines poches du nord du Kenya et de la Somalie, 90 % du bétail a succombé.

J4 – 20 litres d’eau par semaine pour une famille

femme enfant kenya

À 50 km de là, une oasis nous fait oublier la sécheresse pour un temps. SOLIDARITES INTERNATIONAL y a agrandi le système d’irrigation. Une centaine de familles peuvent ainsi cultiver un hectare chacun. Toute une communauté en profite. Pour l’instant, elle se contente de fourrage pour les bêtes, mais notre équipe a bien l’attention de leur faire diversifier leurs cultures.

Dans le village d’El Hadi, à deux heures de pistes, c’est une autre histoire.

« Nous souffrons du manque d’eau. Ici, une famille vit avec 20 l d’eau par semaine, explique John, 3 enfants. Ce n’est pas assez pour boire et pour cuisiner. Nous mangeons du maïs, mais bien souvent il ne nous reste pas assez d’eau pour le cuisiner. Si nous ne sommes pas livrés à nouveau, nous devrons nous aussi abandonner nos maisons et partir en Ethiopie, à 35 km d’ici, où sont les points d’eau les plus proches. »

Sur la route de notre base de North Horr, une femme nous arrête. Epuisée, elle demande de l’eau pour son fils resté sous l’arbre. Il lui reste encore quelques km à parcourir pour aller faire boire son maigre bétail.

Témoignage recueilli en Août 2011