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Brice Lalonde : « Les acteurs de l’eau doivent maintenant faire pression pour que les Etats passent à l’action »

Publié le lundi 21 mars 2016

Militant écologiste et ancien ministre de l’Environnement, Brice Lalonde* est de tous les sommets internationaux concernant l’avenir de notre planète. Alain Boinet, fondateur de l’association humanitaire SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, l’a rencontré après la COP 21, à laquelle Brice Lalonde a participé en tant que porte-parole du Partenariat Français sur l’Eau.
ALAIN BOINET
Environ 3,5 milliards d’êtres humains n’ont pas accès à une eau réellement potable, 2,6 millions de personnes décèdent chaque année des maladies hydriques et, dans dix ans, 63% de la population sera soumise à un stress hydrique. Alors, l’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement est-il réalisable d’ici 2030 comme nous l’espérons ?
BRICE LALONDE
Les ODD vont, malgré tout, nous servir à améliorer la situation, puisque bâtissant sur le succès des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), on a vu les équipes se passionner, se mobiliser, les financements se concentrer et beaucoup de gouverne¬ments nationaux ont pris sur eux de dire : ‘‘ C’est aussi l’objectif de notre pays de réaliser les OMD ’’. Or, ces OMD étaient des objectifs globaux en principe. Il en sera de même pour les Objectifs de Développement Durable (ODD). On ne pourra peut-être pas faire le même effort pour les 17 ODD, mais l’eau sera sans doute une des priorités. Le travail consiste à faire en sorte que chaque gouvernement national prenne à son compte les ODD comme des priorités absolues pour le développement du pays. Et cela consiste, pour les Nations unies et les autres organisations internationales, ONG comme les organisations s’occupant de plaidoyer, à exiger un compte-rendu année par année de la mise en oeuvre des ODD, pour chaque Etat.

Les ‘‘Objectifs de Développement Durable’’ représentent un énorme progrès, en particulier pour l’eau. Mais la volonté politique des Etats, les financements et les instruments de mesure et de suivi seront-ils à la hauteur des objectifs ? Quel est le rôle des acteurs de l’eau pour y parvenir ?
L’eau est tellement indispensable au développement sous toutes ses formes que, de toute manière, pour un gouvernement cela devient indispensable. La question la plus complexe pour les gouvernements est de savoir par où ils doivent commencer. Faut-il commencer par amener l’eau au centre des villes ? Faut-il que ce soit en périphérie ? Ou bien faut-il amener l’eau dans les campagnes afin de ne pas renforcer l’exode rural ? Ces questions-là sont extrêmement difficiles à résoudre. Il faut à la fois éviter que les zones rurales se dépeuplent et, d’une manière ou d’une autre, soulager la misère urbaine. Il faut aussi que l’agriculture soit moins gourmande en eau. Il y a évidemment des endroits où c’est plus difficile que dans d’autres, notamment dans la diagonale de la soif, de Gibraltar au Nord-est de la Chine. Le rôle des acteurs de l’eau sera donc de faire pression pour la mise en place d’une stratégie. C’est ça l’objectif des grands acteurs : comment fait-on pour mettre en oeuvre les ODD ? Et pour cela, il y a un allié de poids, l’Europe avec ses 28 États membres qui est le premier donateur du monde. Il y a, au sein de l’Europe des expertises tout à fait remarquables. Je pense par exemple aux Néerlandais sur la prévention des inondations… Il faut compter sur ces acteurs.

‘‘ Pour la première fois, l’eau a été prise en compte à la COP 21. Pour autant, elle n’apparait pas dans la déclaration finale. ’’ AB

Si, pour la première fois, l’eau a été prise en compte par la COP 21 sur le dérègle¬ment climatique à Paris fin 2015, il n’y a rien pourtant à ce propos dans la déclara¬tion finale, c’est préoccupant !
Il est écrit ‘‘ Water Resources ’’ en grand dans la convention cadre de 1992. Or c’est bien cette convention cadre qui donne le ‘‘ la ’’. Et l’accord de Paris n’est qu’un accord de mise en oeuvre de la convention cadre. Il y a tout un programme de travail à partir de cette COP 21 pour les prochaines COP sur la question de l’adaptation. Et on sait bien que sur l’adaptation, c’est l’eau qui arrive en premier. On n’y échappera pas !

Face au dérèglement climatique il y a deux ripostes, l’atténuation du réchauffement et l’adaptation aux conséquences néfastes de celui-ci. Pourtant, rien de concret n’est défini pour l’adaptation alors que 80% des mesures à prendre concernent l’eau, les inondations, la raréfaction, le niveau de la mer qui monte !
Tout à fait, et le Partenariat Français pour l’Eau a commencé ce travail qui doit désormais être poursuivi avec l’OMS ou l’AFD qui, quand ils sont sollicités pour une aide financière sur l’adaptation, posent la question : mais qu’est-ce que l’adaptation ? C’est quoi le projet ‘‘ bancable ’’ ? Il faut donc qu’il y ait une typologie des programmes d’adaptation concernant l’eau. C’est donc désormais le travail des praticiens, des experts. Il peut d’ailleurs y avoir dans cette typologie des cas de post-urgence et des situations de crise. Toute cette typologie, c’est le travail des prochaines COP qui est expressément demandé par l’accord de Paris.

Le dérèglement climatique amplifie en intensité et en régularité les catastrophes, au Sahel et ailleurs. Mesures d’adaptation et renforcement de la résilience des populations sont urgentes. Où en est-on du Fonds vert avec ses 100 milliards de bud¬get annuel, disponible seulement à partir de 2020 !
Si on compte les investissements privés, on y serait déjà. On nous dit que nous serions autour de 90 milliards d’euros. Ce n’est pas uniquement de l’aide, ce sont aussi les flux financiers, les prêts… Evidemment, il n’y a pas de formule miracle, il faut aider les pays qui en ont besoin. Mais à la fin, c’est le pays lui-même qui se développe, c’est sa volonté, son envie…
Il y a des pays qui ont montré l’exemple. Parfois cela coûte cher, mais regardons l’exemple de Singapour qui, grâce à sa volonté d’indépendance vis-à-vis de la Malaisie, a une politique de l’eau inouïe. Ils recyclent tout. Désalinisation, recyclage, la pluie, un peu d’importation… c’est phéno-ménal. Et cela va servir ailleurs, dans les pays dont les ressources financières sont moins importantes. Il y aura des appels d’offres dans d’autres pays et les techniques développées à Singapour coûteront beaucoup moins cher, l’expertise étant déjà là. Les spécialistes de l’eau s’accordent pour dire que d’une manière ou d’une autre il faut payer l’eau : en nature, en effort, en temps ou en argent. L’OCDE nous parle des 3 T. Bien sûr, l’eau est gratuite. Ce qui coûte, c’est le service d’aller la chercher, la laver, la conduire, la livrer, la renvoyer propre. C’est déjà une bataille de convaincre la population qu’il n’y a pas de repas gratuit !

À SOLIDARITÉS INTERNATIONAL nous croyons au partenariat entre les divers acteurs pour faire face à l’augmentation exponentielle des besoins humanitaires. Si des entreprises sont réellement engagées, les ressources investies sont-elles à la hauteur de leurs responsabilités ?
Je pense avant tout qu’il faut proposer quelque chose à ces entreprises. Si on pro¬pose une solution, un projet, elles marche¬ront. Il faut avoir l’imagination de trouver l’idée innovante et alors, les entreprises suivront. N’oublions pas que les entreprises connaissent parfois des difficultés… Si elles disparaissent, elles ne servent plus à rien. Mais il faut que les grandes entreprises se donnent du mal. Ces dernières ne sont pas uniquement là pour faire monter leur chiffre d’affaires, mais aussi pour aider le monde entier grâce à leur expérience et leur savoir-faire. Certaines des grandes entreprises de l’eau ont trouvé des moyens pour que les premiers litres soient gratuits.

‘‘ Si on dit que l’accès à l’eau est un droit fondamental de l’être humain, ce droit doit être mis en oeuvre. Il faut donc qu’il y ait une organisation onusienne qui en soit comptable. ’’ BL

2015 a été une grande année de Conférences internationales, en particulier pour l’eau et l’assainissement. Comment alimen¬ter cette dynamique et éviter tout risque de démobilisation dans la poursuite des objectifs ambitieux d’accès universel et à l’eau et à l’assainissement en 2030 ?
Il y a en effet eu beaucoup de rendez-vous en 2015. Mais il n’y a pas d’organisation au sein des Nations unies qui soit chargée de l’eau. C’est une vraie question que de savoir s’il faut créer ou grouper des organisations pour avoir une sorte de suivi, un tableau de commande de la mise en oeuvre de l’ODD 6, celui qui concerne l’eau. Je pense que c’est dans cette direction qu’il faut aller. Il faudrait peut-être que l’ONU transmette sa légitimité au Forum Mondial de l’Eau. Ou que l’on crée un organisme analogue au GIEC. Il faut travailler la question. Si on dit que l’accès à l’eau est un droit fondamental de l’être humain, ce droit doit être mis en oeuvre. Il faut donc qu’il y ait une organisa-tion qui en soit comptable.

*Secrétaire d’État puis ministre de l’Environnement de 1988 à 1992, Brice Lalonde a notamment été Ambassadeur chargé des négociations internationales sur le changement climatique pour la France de 2007 à 2011, puis porte-parole du Partenariat Français sur l’Eau pendant la COP 21. Il est aujourd’hui Sous-secrétaire général de l’Organisation des Nations unies et coordonnateur exécutif de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20).

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